Sous les drapeaux, tu seras un homme... 2/2
(Suite du papier précédent...)
Neuf mois de Service
J'arrive donc en novembre 1995 sur la Base aérienne 901 de Drachenbronn dans le Bas-Rhin, à quelques kilomètres de la frontière allemande. Avec ce que m'avait dit le Lieutenant J_ , je m'attendais à passer 9 mois enfermé dans les souterrains de la Ligne Maginot, mais non. En fait la base, aussi appelée "Commandant de Laubier" est coupée en deux. Dans la vallée, à l'air libre, la base en elle-même avec les bâtiments de vie, techniques et administratifs ainsi que le centre de formation de fusiliers-commandos. Et un peu plus dans les hauteurs, l'Ouvrage, un gigantesque centre de contrôle-radar enterré.
Fini le grand dortoir, je partage maintenant une chambre avec 5 autres appelés dont 3 avec qui j'avais fait mes classes. Fini les douches collectives aussi, ici il y a des cabines individuelles...
En fumant une clope dehors, j'entends un appelé plus ancien traiter un autre de pédé et continuer à l'insulter. On m'avait prévenu, les contingents d'octobre contiennent plus de jeunes étudiants que les autres, le niveau est un peu plus élevé que les autres promotions où on croise parfois tout et n'importe quoi. Va falloir faire gaffe.
Fini le grand dortoir, je partage maintenant une chambre avec 5 autres appelés dont 3 avec qui j'avais fait mes classes. Fini les douches collectives aussi, ici il y a des cabines individuelles...
En fumant une clope dehors, j'entends un appelé plus ancien traiter un autre de pédé et continuer à l'insulter. On m'avait prévenu, les contingents d'octobre contiennent plus de jeunes étudiants que les autres, le niveau est un peu plus élevé que les autres promotions où on croise parfois tout et n'importe quoi. Va falloir faire gaffe.
Le lendemain, on me fait un laissez-passer et m'ordonne de me présenter au Major A_ de l'Instruction à l'Ouvrage. Trois postes de contrôle et des enfilades de galeries pour arriver jusqu'à lui. Dans son bureau, je me mets au garde à vous et le salue comme on m'a appris. Le vieux Major se marre : "Laisse tomber tout ça. Un 'bonjour Major' et une poignée de main suffiront maintenant. Tu as déjà réussi à ne pas te perdre dans les galeries. Bien. Il y a un appelé qu'on cherche toujours depuis dix ans, si tu tombes dessus... Pas de conneries ici, on rigole pas sinon c'est le trou. Je suis à un an de la retraite alors va pas falloir me chier dans les bottes. Caporal V_ ! Va lui faire visiter la Salle de Contrôle, celle de briefing, et le labo de langue. En revenant, vous passerez par notre cafet'. Tu sais faire le café ? Avec un peu de chance il sera meilleur que celui de V_". Il y a des gens avec lesquels tu te dis tout de suite que tu vas bien t'entendre. Le Major en faisait partie, son air faussement bourru et ses épaisses moustaches grisonnantes n'arrivaient pas à cacher son sourire sympathique...
La Salle de Contrôle-Radar et son dôme est d'une taille impressionnante. Dans l'obscurité, avec pour seules lumières des petites veilleuses et les éclairages verts des écrans, j'ai le sentiment d'être dans un James Bond. Ça fourmille dans tous les sens dans un silence quasi monacal. J'y retrouve le Lieutenant J_ qui ne tarde pas à me présenter... sa femme, également Lieutenant au Contrôle... Je confesse une légère déception...
Au Labo de langue, je rencontre le Caporal M_ , l'appelé qui termine son service dans un mois et que je dois remplacer aux manettes... Il m'explique ce qu'on attend de moi : en résumé, donner des cours d'anglais aux contrôleurs aériens, leur faire lire la presse étrangère, leur passer les cassettes du labo et les corriger dans le casque-audio, et aussi préparer avec eux mon speech quotidien. Je devais jaqueter pendant 5 minutes de la météo et de l'actualité internationale dans la langue de Shakespeare devant tout le personnel de l'Ouvrage. "Colonel, Sirs, Ladies and Gentlemen, this is the english morning briefing... blah blah blah... This was the english morning briefing. Thank you for your attention. Have a nice day". Comme ça, du lundi au vendredi...
Il y a cette règle fabuleuse à l'Armée comme quoi la fonction prime sur le grade. Mon statut d'Instructeur me conférait donc pas mal d'avantages. Plus d'ordre à recevoir si ce n'est de mon Major ou du Haut Commandement, et je n'ai quasiment plus touché au balai jusqu'à la fin de mon service. Oui, on peut dire que j'étais un "planqué", surtout en comparaison d'autres appelés aux fonctions plus ingrates... Le mois suivant, le Major rajoutait un chevron sur mes épaules. Et un peu plus tard encore un second. Je passais d'Aviateur à Caporal parce que sinon "ça ne faisait pas sérieux"...
On prend vite des habitudes et je commençais à trouver le temps long dans cette routine. Je proposais donc au Major d'animer un vidéo club en diffusant un soir par semaine des films en VOST sur la télé du labo. J'avais assez de VHS chez moi pour tenir jusqu'à la fin de mon service. "Okay, mais c'est en dehors de tes heures de service, ça ! Du coup, faut que je te signe un papier pour que tu puisses partir le vendredi midi et ne rentrer que dans la matinée du lundi. Ça te fera de vrais week-end à Paris, mon salaud...". Victoire !
J'alternais des vieux films (mon cycle Hitchcock) et des films contemporains. J'ai fait le plein du labo avec Le Silence des Agneaux. Après le film, on en discutait en anglais, un peu, en vidant des verres, beaucoup...
Sur une base aérienne, tout se sait. Ou presque. J'avais entendu parlé du "vide-couilles du bâtiment 4", un appelé qui effectuait la vidange de ceux qui le souhaitaient. Il se chuchotait même que des engagés étaient passés "entre ses mains". Je me disais que c'était gonflé quand même...
C'est alors que sont arrivés les grandes grèves de l'hiver 1995-1996 qui ont paralysé la France. Impossible de rentrer sur Paris le vendredi soir, et comme j'allais être bloqué sur la base, le Major en profita pour me coller de "semaine" dans un des bâtiments. "Puisque tu dois y passer au moins une fois, autant que ce soit une semaine où tu ne peux pas rentrer chez toi". Il s'agissait en fait d'être le concierge d'un bâtiment, surveiller que tout va bien, donner les clefs de chambre, distribuer le courrier, lancer les réveils et autres joyeusetés... Le hasard voulu que j'ai à m'occuper du bâtiment 4. Et comme le V.-C. était également bloqué sur base à cause des grèves, ce qui devait arriver arriva... Le samedi soir, il était seul dans sa chambre. Je frappais à sa porte et entrait lui demander une cigarette prétextant que j'avais oublié les miennes dans mon bâtiment. Il me dit "Okay, mais faut la mériter... Une cigarette contre un cigare ?". Message reçu, je verrouillais la porte et m'approchais en déboutonnant mon treillis... Et comme j'ai fait plus que me laisser sucer, je suis carrément repartis avec un demi-paquet !
Un mois plus tard, il avait fini son service. Il faudra se trouver d'autres fesses à claquer... Heureusement je n'étais plus consigné sur base et les grèves avaient cessé !
Je me rappellerai toujours du 22 février 1996. Nous étions dans la salle télé quand Jacques Chirac, Président et donc Chef des Armées, a annoncé la fin du service militaire obligatoire. Révolte chez les appelés, dégoutés de ne pas être passés au travers. Révolte chez les engagés pensant qu'ils allaient écoper du sale boulot s'il n'y avait plus d'appelés pour le faire. Moi, je m'en fous. Je ne me sens pas concerné. Mais toute cette agitation m'amuse. Je suis plus ennuyé par ce satané climat de l'Est. Cette neige qui n'en finit pas de tomber. On se pèle le jonc cet hiver-là. Et puis c'est le néant ici, rien à faire, rien à voir. Et les gens parlent une langue bizarre ponctuée de "hopla" et de "jo"...
En avril, j'ai à nouveau droit à une séance de tir au pistolet automatique. Un peu de distraction ! Je charge, je tire sur la cible. Résultat honorable, mais je suis déçu, j'avais fait mieux pendant les classes. Je prends la pose de Nikita dans le film de Besson et vide un second chargeur. Beaucoup mieux. Un officier de tir, le Lieutenant N_ , est surpris et me demande si j'ai déjà tiré. Toujours dans mon trip Nikita, je lui sors la fameuse réplique "Oui, mais pas des cibles" avec un sous-entendu légèrement différent de celui du film... Un sourire me fait comprendre qu'il a compris l'allusion. Je quitte le stand de tir avec une invitation à "venir tirer un coup" quand je veux. Je n'ai pas donné suite, ne sachant si je me faisais un film ou pas. Pas trop envie d'être la tête d'affiche d'un scandale...
Bizarrement, je le croisais plus régulièrement sur la base. Hasard ou coïncidence ? Un soir que nous étions dans un bar de Soultz à jouer aux fléchettes avec "mes élèves", il s'est joint à nous. On discute autour d'une bière. Il regrette de ne pouvoir aller au labo d'anglais, il aimerait apprendre mais comme il n'est pas contrôleur et n'a pas de laissez-passer pour l'Ouvrage... Je propose innocemment (ou presque) de lui donner des cours particuliers en échange de séances de tir. Deux jours plus tard, il est dans ma chambre à lire un article de Courrier International. Mais pas évident pour lui de se concentrer sur le texte avec mes camarades de chambre autour. La prochaine fois, nous irons chez lui, il a un appartement dans le village à côté de la base. Cette première visite chez lui a été très studieuse. Mais la suivante, le cours d'anglais a été expédié aussi rapidement qu'ont volé nos fringues. Me suis retrouvé plaqué sur son lit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire... Bestial à souhait, le Lieutenant N_ ! Il a pris encore quelques cours (très) particuliers, mais de façons beaucoup plus irrégulières. Sa motivation à apprendre l'anglais avait quelque peu baissé maintenant qu'il connaissait mon cul "sur le bout des doigts"...
Mai 1996. Un pilote, le Capitaine B_ , tente pour la énième fois une licence internationale. Le Major A_ me met en garde, il a raté l'examen deux fois à cause de l'anglais, c'est sa dernière chance donc méthode intensive. Je ne suis pas certain que les journées entières que nous avons passé dans le labo aient joué pour beaucoup, mais il a eu son examen et a souhaité me remercier en m'offrant un vol d'essai. La semaine suivante, dans la voiture en direction de Strasbourg, il m'informe qu'il s'agit d'un vol un peu acrobatique, avec quelques figures. Même pas peur quand il me briefe sur les consignes de sécurité. Un peu plus quand il parle du parachute... Je signe la décharge de responsabilité en cas de pépins... Pendant que j'enfile la combinaison de vol, il m'indique les "sacs à vomi" dans la poche et me rappelle d'enlever le masque avant de les utiliser surtout. Je crois que le Capitaine B_ me prend un peu pour une conne... L'alphajet décolle. Je suis plaqué sur le siège. Un tonneau. Il me demande si je suis okay. Je surkiffe. Une vrille. Entre chaque figure, il fait une légère pause pour "prendre ma température" avant de continuer. Un piqué... Et une autre figure, et encore une... Plus ça va, moins je suis convaincant pour lui répondre. "Bon, et bien, puisque ça va, on les enchaine !". J'ai commencé par crier Nooooon avant de me saisir d'un précieux petit sac... L'alphajet s'est posé. Ils se sont mis à trois pour m'en sortir. Allongé sur le tarmac, je reprends mes esprits. Il arrive goguenard : "J'avais un deal avec tes contrôleurs. Tant que tu ne remplissais pas un sac, je te faisais tourner... Ah ah ah...". Le lendemain, les petits enfoirés ont eu un contrôle surprise, avec un barème sur 12 noté sur 20. Pour la forme. Parce que même avec l'épisode du vomi, j'ai tout de même vécu une expérience exceptionnelle...
Peu après, j'ai été dragouillé par le Major F_ de l'Equipement. Grand brun, carré, massif, viril. Il ne s'entendait pas trop avec mon Major A_ , il fallait donc être particulièrement discret. Comme il était plutôt très bien équipé et qu'il y avait une bonne alchimie auto-reverse des corps entre nous, on est resté plus où moins ensemble jusqu'à la fin de mon service (ce qui ne m'empechait pas de batifoler à Paris pendant mes permissions de fin de semaine). J'ai appris plus tard que F_ était un pote du Lientenant N_ . J'avais du être recommandé...
Je mangeais souvent le soir chez F_ . J'y ai même passé quelques nuits, mais ce n'était pas évident. Et puis, ça commençait à se savoir...
Début juin, je suis de corvée à nouveau. Cette fois pour Vigipirate... Une nouvelle semaine sans rentrer à Paris. Une semaine à patrouiller armé dans l'aéroport de Strasbourg-Entzheim. Je n'aime pas. Vraiment pas.
J'ai beau avoir une arme chargée sur moi avec pour consigne de m'en servir si mon binôme-gradé me l'ordonne, ils peuvent toujours se toucher pour que je fasse feu. Alors, je n'aime pas. Vraiment pas.
Je n'aime pas non plus ce fusilier-commando qui vient squatter MON labo sous prétexte qu'il a un pote contrôleur qui vient y prendre des cours. Je ne me rappelle plus de son grade, juste qu'il parle trop fort et mal, ça m'énerve. Si encore il était mignon, je dis pas, mais non. Juste une grande gueule...
Un jour, il sort un couteau et se la joue gros dur menaçant avec moi, histoire de faire le warrior devant ses copains. "Tu vois ça, et ben, elle en a planté cette lame. Tu devrais te méfier, c'est une lame de 18 cm !". Il croyait m'impressionner en la faisant tournoyer entre ses doigts. Comme s'il allait me faire quoi que ce soit, comme ça, sans raison, dans une enceinte militaire ! Pas une seconde, j'ai eu peur... Alors s'est sorti tout seul : "Hey Rambo, on a les 18 cm qu'on peut !". Hilarité générale. Je ne l'ai plus jamais vu dans mon labo.
La Salle de Contrôle-Radar et son dôme est d'une taille impressionnante. Dans l'obscurité, avec pour seules lumières des petites veilleuses et les éclairages verts des écrans, j'ai le sentiment d'être dans un James Bond. Ça fourmille dans tous les sens dans un silence quasi monacal. J'y retrouve le Lieutenant J_ qui ne tarde pas à me présenter... sa femme, également Lieutenant au Contrôle... Je confesse une légère déception...
Au Labo de langue, je rencontre le Caporal M_ , l'appelé qui termine son service dans un mois et que je dois remplacer aux manettes... Il m'explique ce qu'on attend de moi : en résumé, donner des cours d'anglais aux contrôleurs aériens, leur faire lire la presse étrangère, leur passer les cassettes du labo et les corriger dans le casque-audio, et aussi préparer avec eux mon speech quotidien. Je devais jaqueter pendant 5 minutes de la météo et de l'actualité internationale dans la langue de Shakespeare devant tout le personnel de l'Ouvrage. "Colonel, Sirs, Ladies and Gentlemen, this is the english morning briefing... blah blah blah... This was the english morning briefing. Thank you for your attention. Have a nice day". Comme ça, du lundi au vendredi...
Il y a cette règle fabuleuse à l'Armée comme quoi la fonction prime sur le grade. Mon statut d'Instructeur me conférait donc pas mal d'avantages. Plus d'ordre à recevoir si ce n'est de mon Major ou du Haut Commandement, et je n'ai quasiment plus touché au balai jusqu'à la fin de mon service. Oui, on peut dire que j'étais un "planqué", surtout en comparaison d'autres appelés aux fonctions plus ingrates... Le mois suivant, le Major rajoutait un chevron sur mes épaules. Et un peu plus tard encore un second. Je passais d'Aviateur à Caporal parce que sinon "ça ne faisait pas sérieux"...
On prend vite des habitudes et je commençais à trouver le temps long dans cette routine. Je proposais donc au Major d'animer un vidéo club en diffusant un soir par semaine des films en VOST sur la télé du labo. J'avais assez de VHS chez moi pour tenir jusqu'à la fin de mon service. "Okay, mais c'est en dehors de tes heures de service, ça ! Du coup, faut que je te signe un papier pour que tu puisses partir le vendredi midi et ne rentrer que dans la matinée du lundi. Ça te fera de vrais week-end à Paris, mon salaud...". Victoire !
J'alternais des vieux films (mon cycle Hitchcock) et des films contemporains. J'ai fait le plein du labo avec Le Silence des Agneaux. Après le film, on en discutait en anglais, un peu, en vidant des verres, beaucoup...
Sur une base aérienne, tout se sait. Ou presque. J'avais entendu parlé du "vide-couilles du bâtiment 4", un appelé qui effectuait la vidange de ceux qui le souhaitaient. Il se chuchotait même que des engagés étaient passés "entre ses mains". Je me disais que c'était gonflé quand même...
C'est alors que sont arrivés les grandes grèves de l'hiver 1995-1996 qui ont paralysé la France. Impossible de rentrer sur Paris le vendredi soir, et comme j'allais être bloqué sur la base, le Major en profita pour me coller de "semaine" dans un des bâtiments. "Puisque tu dois y passer au moins une fois, autant que ce soit une semaine où tu ne peux pas rentrer chez toi". Il s'agissait en fait d'être le concierge d'un bâtiment, surveiller que tout va bien, donner les clefs de chambre, distribuer le courrier, lancer les réveils et autres joyeusetés... Le hasard voulu que j'ai à m'occuper du bâtiment 4. Et comme le V.-C. était également bloqué sur base à cause des grèves, ce qui devait arriver arriva... Le samedi soir, il était seul dans sa chambre. Je frappais à sa porte et entrait lui demander une cigarette prétextant que j'avais oublié les miennes dans mon bâtiment. Il me dit "Okay, mais faut la mériter... Une cigarette contre un cigare ?". Message reçu, je verrouillais la porte et m'approchais en déboutonnant mon treillis... Et comme j'ai fait plus que me laisser sucer, je suis carrément repartis avec un demi-paquet !
Un mois plus tard, il avait fini son service. Il faudra se trouver d'autres fesses à claquer... Heureusement je n'étais plus consigné sur base et les grèves avaient cessé !
Je me rappellerai toujours du 22 février 1996. Nous étions dans la salle télé quand Jacques Chirac, Président et donc Chef des Armées, a annoncé la fin du service militaire obligatoire. Révolte chez les appelés, dégoutés de ne pas être passés au travers. Révolte chez les engagés pensant qu'ils allaient écoper du sale boulot s'il n'y avait plus d'appelés pour le faire. Moi, je m'en fous. Je ne me sens pas concerné. Mais toute cette agitation m'amuse. Je suis plus ennuyé par ce satané climat de l'Est. Cette neige qui n'en finit pas de tomber. On se pèle le jonc cet hiver-là. Et puis c'est le néant ici, rien à faire, rien à voir. Et les gens parlent une langue bizarre ponctuée de "hopla" et de "jo"...
En avril, j'ai à nouveau droit à une séance de tir au pistolet automatique. Un peu de distraction ! Je charge, je tire sur la cible. Résultat honorable, mais je suis déçu, j'avais fait mieux pendant les classes. Je prends la pose de Nikita dans le film de Besson et vide un second chargeur. Beaucoup mieux. Un officier de tir, le Lieutenant N_ , est surpris et me demande si j'ai déjà tiré. Toujours dans mon trip Nikita, je lui sors la fameuse réplique "Oui, mais pas des cibles" avec un sous-entendu légèrement différent de celui du film... Un sourire me fait comprendre qu'il a compris l'allusion. Je quitte le stand de tir avec une invitation à "venir tirer un coup" quand je veux. Je n'ai pas donné suite, ne sachant si je me faisais un film ou pas. Pas trop envie d'être la tête d'affiche d'un scandale...
Bizarrement, je le croisais plus régulièrement sur la base. Hasard ou coïncidence ? Un soir que nous étions dans un bar de Soultz à jouer aux fléchettes avec "mes élèves", il s'est joint à nous. On discute autour d'une bière. Il regrette de ne pouvoir aller au labo d'anglais, il aimerait apprendre mais comme il n'est pas contrôleur et n'a pas de laissez-passer pour l'Ouvrage... Je propose innocemment (ou presque) de lui donner des cours particuliers en échange de séances de tir. Deux jours plus tard, il est dans ma chambre à lire un article de Courrier International. Mais pas évident pour lui de se concentrer sur le texte avec mes camarades de chambre autour. La prochaine fois, nous irons chez lui, il a un appartement dans le village à côté de la base. Cette première visite chez lui a été très studieuse. Mais la suivante, le cours d'anglais a été expédié aussi rapidement qu'ont volé nos fringues. Me suis retrouvé plaqué sur son lit en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire... Bestial à souhait, le Lieutenant N_ ! Il a pris encore quelques cours (très) particuliers, mais de façons beaucoup plus irrégulières. Sa motivation à apprendre l'anglais avait quelque peu baissé maintenant qu'il connaissait mon cul "sur le bout des doigts"...
Mai 1996. Un pilote, le Capitaine B_ , tente pour la énième fois une licence internationale. Le Major A_ me met en garde, il a raté l'examen deux fois à cause de l'anglais, c'est sa dernière chance donc méthode intensive. Je ne suis pas certain que les journées entières que nous avons passé dans le labo aient joué pour beaucoup, mais il a eu son examen et a souhaité me remercier en m'offrant un vol d'essai. La semaine suivante, dans la voiture en direction de Strasbourg, il m'informe qu'il s'agit d'un vol un peu acrobatique, avec quelques figures. Même pas peur quand il me briefe sur les consignes de sécurité. Un peu plus quand il parle du parachute... Je signe la décharge de responsabilité en cas de pépins... Pendant que j'enfile la combinaison de vol, il m'indique les "sacs à vomi" dans la poche et me rappelle d'enlever le masque avant de les utiliser surtout. Je crois que le Capitaine B_ me prend un peu pour une conne... L'alphajet décolle. Je suis plaqué sur le siège. Un tonneau. Il me demande si je suis okay. Je surkiffe. Une vrille. Entre chaque figure, il fait une légère pause pour "prendre ma température" avant de continuer. Un piqué... Et une autre figure, et encore une... Plus ça va, moins je suis convaincant pour lui répondre. "Bon, et bien, puisque ça va, on les enchaine !". J'ai commencé par crier Nooooon avant de me saisir d'un précieux petit sac... L'alphajet s'est posé. Ils se sont mis à trois pour m'en sortir. Allongé sur le tarmac, je reprends mes esprits. Il arrive goguenard : "J'avais un deal avec tes contrôleurs. Tant que tu ne remplissais pas un sac, je te faisais tourner... Ah ah ah...". Le lendemain, les petits enfoirés ont eu un contrôle surprise, avec un barème sur 12 noté sur 20. Pour la forme. Parce que même avec l'épisode du vomi, j'ai tout de même vécu une expérience exceptionnelle...
Peu après, j'ai été dragouillé par le Major F_ de l'Equipement. Grand brun, carré, massif, viril. Il ne s'entendait pas trop avec mon Major A_ , il fallait donc être particulièrement discret. Comme il était plutôt très bien équipé et qu'il y avait une bonne alchimie auto-reverse des corps entre nous, on est resté plus où moins ensemble jusqu'à la fin de mon service (ce qui ne m'empechait pas de batifoler à Paris pendant mes permissions de fin de semaine). J'ai appris plus tard que F_ était un pote du Lientenant N_ . J'avais du être recommandé...
Je mangeais souvent le soir chez F_ . J'y ai même passé quelques nuits, mais ce n'était pas évident. Et puis, ça commençait à se savoir...
Début juin, je suis de corvée à nouveau. Cette fois pour Vigipirate... Une nouvelle semaine sans rentrer à Paris. Une semaine à patrouiller armé dans l'aéroport de Strasbourg-Entzheim. Je n'aime pas. Vraiment pas.
J'ai beau avoir une arme chargée sur moi avec pour consigne de m'en servir si mon binôme-gradé me l'ordonne, ils peuvent toujours se toucher pour que je fasse feu. Alors, je n'aime pas. Vraiment pas.
Je n'aime pas non plus ce fusilier-commando qui vient squatter MON labo sous prétexte qu'il a un pote contrôleur qui vient y prendre des cours. Je ne me rappelle plus de son grade, juste qu'il parle trop fort et mal, ça m'énerve. Si encore il était mignon, je dis pas, mais non. Juste une grande gueule...
Un jour, il sort un couteau et se la joue gros dur menaçant avec moi, histoire de faire le warrior devant ses copains. "Tu vois ça, et ben, elle en a planté cette lame. Tu devrais te méfier, c'est une lame de 18 cm !". Il croyait m'impressionner en la faisant tournoyer entre ses doigts. Comme s'il allait me faire quoi que ce soit, comme ça, sans raison, dans une enceinte militaire ! Pas une seconde, j'ai eu peur... Alors s'est sorti tout seul : "Hey Rambo, on a les 18 cm qu'on peut !". Hilarité générale. Je ne l'ai plus jamais vu dans mon labo.
Tous les deux mois, de nouveaux appelés arrivaient sur la base. Un Sergent-Chef disait souvent "Tiens, voilà la chair fraiche !". Je les détaillais avec lui, pour des raisons bien différentes... Début Juin, mon Gaydar s'affole. C'était certain, celui-là ne suçe pas que des glaçons. Il est affecté au ménage à l'Ouvrage. Et comme on fait de temps en temps le trajet ensemble, on finit par sympathiser. Un matin, je lui demande clairement s'il est homo. Il bredouille, c'est un aveu. "Non, mais pas de souci. Je suis pédé aussi... Tu vas voir, c'est cool ici. Mais fait attention, si tu couches une fois, ça va se savoir. Y a pas plus piplette que les militaires !". On aurait pu passer du bon temps ensemble. Je crois d'ailleurs qu'il attendait que je fasse le premier pas. Hélas, il ne me plaisait pas physiquement. L'animalité d'un plan cul avec quelqu'un qui ne vous attire pas vraiment peut certes être très excitante, mais comme le Major F_ s'occupait déjà de régler mes niveaux de testostérones...
Fin juin, c'est l'anniversaire du Major A_ , coupes de champagne avec tout le service dans son bureau. Son secrétaire lui demande ce qui lui ferait plaisir pour l'occasion. Il prend une pause... "J'aimerais bien voir la tête de notre teacher quand le Colonel de la base lui remettra la Médaille de la Défense Nationale le 14 Juillet". Pensant qu'il plaisantait, j'éclate de rire. "Hé, Caporal, un peu de respect pour les honneurs militaires... Je devais donner un nom, c'est tombé sur toi. Pas d'bol, en plus c'est un dimanche, tu vas passer le week-end parmi nous, ça te fera les pieds". Galère...
Le samedi 13 juillet a été monopolisé par les répétitions du défilé du lendemain.
Le soir, je jouais au rami avec un l'Aviateur S_ qui était aussi resté sur la base ce week-end là. Il habitait dans les Alpes et n'avait pas toujours l'argent (ni le temps) pour rentrer chez lui chaque week-end. "Je suis en manque là. Trois semaines que j'ai pas vu ma meuf". Je ne relève pas et redistribue les cartes. "Qu'est ce qu'elle va prendre quand je vais rentrer". Un ange passe. "Je me laisserai même pomper par un keum tellement j'ai envie". Motus mais va pas falloir qu'il insiste longtemps encore... "Mais bon, à ce qu'on dit, tu suces que des gradés, toi !". Je me devais de lui prouver le contraire. Mon expérience me permet d'affirmer maintenant que ce ne sont pas les plus gradés qui ont les plus grosses...
14 Juillet. Soleil de plomb, un véritable supplice que de défiler avec le Famas dans Wissembourg. Je dégouline dans mon treillis. A la fin de la marche, j'enfile rapidement la tenue de cérémonie pour recevoir ma fameuse médaille. Impression bizarre, je suis en décalage, de la même façon que je l'aurais été dans la peau de Daniela Lombroso Chevalier de la Légion d'Honneur. Je me sens un poil usurpateur parce que je sais que cette médaille n'est pas appréciée des vrais militaires, justement parce qu'on la donne aussi à n'importe qui... Mais je joue le jeu, en me disant que ma Grand-mère appréciera et que je pourrai me la péter dans 20 ans... (hum, hum... je suis un peu en avance là...)
Après la cérémonie, je bois un verre avec mon Major et sa femme. "Tu sais, tu es le dernier que je recommande pour cette médaille avant mon départ à la retraite. Ça me fait plaisir que ce soit toi. T'es un gars bien". "Si ça vous fait plaisir, Major, ça me fait plaisir !". "T'es certain que tu ne veux pas prolonger de 6 mois ton service ? On n'aura pas de teacher avant novembre.". "Vous êtes sympa, Major, mais c'est bon, j'ai donné là. Je reprends mon job fin août et c'est un peu mieux payé que l'Armée. Et puis j'ai déjà eu la Médaille, j'vois pas ce que je peux avoir de plus...". Il commande une seconde tournée...
Fin juin, c'est l'anniversaire du Major A_ , coupes de champagne avec tout le service dans son bureau. Son secrétaire lui demande ce qui lui ferait plaisir pour l'occasion. Il prend une pause... "J'aimerais bien voir la tête de notre teacher quand le Colonel de la base lui remettra la Médaille de la Défense Nationale le 14 Juillet". Pensant qu'il plaisantait, j'éclate de rire. "Hé, Caporal, un peu de respect pour les honneurs militaires... Je devais donner un nom, c'est tombé sur toi. Pas d'bol, en plus c'est un dimanche, tu vas passer le week-end parmi nous, ça te fera les pieds". Galère...
Le samedi 13 juillet a été monopolisé par les répétitions du défilé du lendemain.
Le soir, je jouais au rami avec un l'Aviateur S_ qui était aussi resté sur la base ce week-end là. Il habitait dans les Alpes et n'avait pas toujours l'argent (ni le temps) pour rentrer chez lui chaque week-end. "Je suis en manque là. Trois semaines que j'ai pas vu ma meuf". Je ne relève pas et redistribue les cartes. "Qu'est ce qu'elle va prendre quand je vais rentrer". Un ange passe. "Je me laisserai même pomper par un keum tellement j'ai envie". Motus mais va pas falloir qu'il insiste longtemps encore... "Mais bon, à ce qu'on dit, tu suces que des gradés, toi !". Je me devais de lui prouver le contraire. Mon expérience me permet d'affirmer maintenant que ce ne sont pas les plus gradés qui ont les plus grosses...
14 Juillet. Soleil de plomb, un véritable supplice que de défiler avec le Famas dans Wissembourg. Je dégouline dans mon treillis. A la fin de la marche, j'enfile rapidement la tenue de cérémonie pour recevoir ma fameuse médaille. Impression bizarre, je suis en décalage, de la même façon que je l'aurais été dans la peau de Daniela Lombroso Chevalier de la Légion d'Honneur. Je me sens un poil usurpateur parce que je sais que cette médaille n'est pas appréciée des vrais militaires, justement parce qu'on la donne aussi à n'importe qui... Mais je joue le jeu, en me disant que ma Grand-mère appréciera et que je pourrai me la péter dans 20 ans... (hum, hum... je suis un peu en avance là...)
Après la cérémonie, je bois un verre avec mon Major et sa femme. "Tu sais, tu es le dernier que je recommande pour cette médaille avant mon départ à la retraite. Ça me fait plaisir que ce soit toi. T'es un gars bien". "Si ça vous fait plaisir, Major, ça me fait plaisir !". "T'es certain que tu ne veux pas prolonger de 6 mois ton service ? On n'aura pas de teacher avant novembre.". "Vous êtes sympa, Major, mais c'est bon, j'ai donné là. Je reprends mon job fin août et c'est un peu mieux payé que l'Armée. Et puis j'ai déjà eu la Médaille, j'vois pas ce que je peux avoir de plus...". Il commande une seconde tournée...
Le Circuit Départ
Remplir de la paperasserie administrative, Récupérer d'autres papiers officiels. Rendre ses uniformes. Négocier pour garder un treillis ou deux... Dernier plan avec le Major F_ , on sait que c'est le dernier, alors on en profite au maximum. On se dit adieu. On sait qu'on ne se reverra jamais. Nous n'étions pas amoureux, juste des sex buddies. Un autre appelé me remplacera...
Remplir de la paperasserie administrative, Récupérer d'autres papiers officiels. Rendre ses uniformes. Négocier pour garder un treillis ou deux... Dernier plan avec le Major F_ , on sait que c'est le dernier, alors on en profite au maximum. On se dit adieu. On sait qu'on ne se reverra jamais. Nous n'étions pas amoureux, juste des sex buddies. Un autre appelé me remplacera...
Ça sent la fin...
La veille de mon départ, j'ai organisé un pot au labo avec le personnel de l'Instruction et mes élèves du contrôle. J'ai déjà tourné la page et suis impatient de rentrer sur Paris. J'apprends que mon Major va prendre la relève au labo et au briefing. Pour ce qui est de la soirée vidéo hebdomadaire, il étudie comment la maintenir... J'ai eu des cadeaux, des trucs un peu kitschs, un peu militaires, un peu alsaciens...
On a tous quitté le labo. En me serrant la main le Lieutenant J_ m'a dit : "Tu vois, j'ai bien fait de te faire venir à Drachenbronn. Je t'avais dit que ce serait sympa. Tu t'es bien amusé, non ?". Je confirmais. Dans la galerie vers la sortie de l'Ouvrage, J_ s'est retourné pour me lancer un "Je le savais ! Tout se sait sur base, tout se sait !". Il reçut de sa femme un coup de coude dans les côtes...
Le lendemain, j'étais dans le train pour Paris.
Voilà, ça c'était fait... Et maintenant ?
Depuis, le seul drapeau sous lequel j'ai marché est le Rainbow Flag...
J'l'aime bien celui-là aussi...Sous celui-là aussi, je suis un homme...
La veille de mon départ, j'ai organisé un pot au labo avec le personnel de l'Instruction et mes élèves du contrôle. J'ai déjà tourné la page et suis impatient de rentrer sur Paris. J'apprends que mon Major va prendre la relève au labo et au briefing. Pour ce qui est de la soirée vidéo hebdomadaire, il étudie comment la maintenir... J'ai eu des cadeaux, des trucs un peu kitschs, un peu militaires, un peu alsaciens...
On a tous quitté le labo. En me serrant la main le Lieutenant J_ m'a dit : "Tu vois, j'ai bien fait de te faire venir à Drachenbronn. Je t'avais dit que ce serait sympa. Tu t'es bien amusé, non ?". Je confirmais. Dans la galerie vers la sortie de l'Ouvrage, J_ s'est retourné pour me lancer un "Je le savais ! Tout se sait sur base, tout se sait !". Il reçut de sa femme un coup de coude dans les côtes...
Le lendemain, j'étais dans le train pour Paris.
Voilà, ça c'était fait... Et maintenant ?
Depuis, le seul drapeau sous lequel j'ai marché est le Rainbow Flag...
J'l'aime bien celui-là aussi...Sous celui-là aussi, je suis un homme...
Comme je suis content de le retrouver ce week-end.