Souvenirs d'Arm�e

Le Rainbow Flag n'est pas le seul sous lequel j'ai march�.
Il y a eu aussi le drapeau fran�ais. Car j'ai fait l'Arm�e, moi Madame...
Je ne sais pas comment je dois le prendre, mais � chaque fois que je dis �a, je d�clenche des rires incr�dules ou moqueurs dans l'assistance...
Et rapidement arrive la question "Et t'as couch� ? Raconte !".
Alors d�roulons le fil de la m�moire...
Ne vous attendez pas � quelques faits h�ro�ques, je n'ai absolument rien fait pour l'honneur de la nation. J'ai retrouv� il y a quelques semaines ma M�daille de la D�fense Nationale. �a me fait doucement rire quand je pense � ce que d'autres ont r�ellement fait...

Les 3 jours

Ayant �puis� mes reports, j'ai donc �t� convoqu� aux "3 jours", ou le premier parcours du jeune appel� sous les drapeaux qui en fait se r�sume en deux demi-journ�es de tests vari�s afin de d�terminer si tu es apte ou pas au moyen de pipi dans un bocal, et de nombreux QCM (j'apprends au passage que j'ai une mauvaise appr�ciation du relief et de la 3D). On termine par un rendez-vous-discussion avec un militaire.
Je n'ai pas essay� de me faire r�former. A quoi bon, avec ma chance habituelle, je savais que �a ne marcherait pas, alors autant mettre toutes les chances de mon c�t� pour remplir cette corv�e le plus intelligemment possible. Je n'oubliais pas aussi que ma Grand-m�re maternelle, �pouse d'un gendarme, fondait de grands espoirs sur ce passage oblig� qui devait "faire de moi un homme"...
Quelques semaines plus tard, je recevais ma convocation. Contingent 9510 dans l'Arm�e de l'Air. Fi�rement, j'en informais ma Grand-m�re, pour m'entendre r�pondre "Pfff, l'Arm�e de l'Air, ce n'est pas l'Arm�e !". J'avoue que quelque part, �a me soulageait...
Je ne savais pas encore � quel point elle avait raison.

Les Classes

J'arrive en octobre sur la base a�rienne 136 de Nancy - Toul Rosi�res pour 4 (ou 6, je ne sais plus trop) semaines. On est nombreux. Je d�couvre les joies des grands dortoirs de 20 jeunes gars et les nuits rythm�s entre les ronflements des uns et les grincements suspects des sommiers des autres. Il y a aussi cet appel� qui sanglote dans son oreiller. Il me fait de la peine, je me dis qu'il n'a pas fini d'en chier, mais non, apr�s deux semaines de larmes, il sera r�form�...
Les journ�es sont d'autant plus longues qu'elles commencent t�t. D'abord la douche, collective... Je n'ai jamais �t� vraiment pudique, alors pas de traumatisme. Mon seul souci �tait en fait de r�ussir � mater sans me faire rep�rer, ce qui impliquait discr�tion et contr�le de mes �motions... Puis les corv�es de nettoyages et rangements, ce que j'ai trouv� de plus ennuyeux. S'en suivait le Salut au Drapeau sur la place d'armes, puis les diff�rentes activit�s : Apprendre � marcher au pas en formation, � saluer, ainsi que de nombreux cours historiques et th�oriques sur les diff�rentes Arm�es... Ce que je pr�f�rais ? A ma grande surprise, moi qui suis plut�t pacifiste et pas vraiment manuel, le maniement des armes, les d�monter, les remonter et tirer �tait ce qui me divertissait le plus.
Je me suis fait griller par un de nos instructeurs, le Lieutenant J_ , au bout de 3 semaines. Il avait peut-�tre d�j� des doutes quant � mon orientation sexuelle, je ne sais pas, mais lorsqu'il m'a vu admirer dans un miroir ce que donnait mon cul dans un treillis, il a eu confirmation qu'il y avait bien quelque chose d'un peu louche... C'�tait bien la peine de faire gaffe en matant les autres, on est toujours trahi par le Narcisse en soi. Il s'est dirig� vers moi, a tir� d'un coup sec sur le scratch-velcro de ma veste o� �tait inscrit mon nom en me disant "Le treillis n'est pas un v�tement de mode". J'aurais pu lui d�montrer le contraire, mais je savais ce que �a signifiait. Mon nom allait �tre scratch� sur le tableau des punis et j'allais �coper d'une ou deux corv�es suppl�mentaires... Rien de bien grave, et puis je m'en foutais, le treillis me faisait un beau cul ! C'�tait l� l'essentiel.
Les journ�es passaient ainsi. C'�tait long, mais si j'oublie les parcours du combattant, on rigolait bien.
Sauf cette nuit o� nous f�mes r�veill�s � 3 heures du mat pour aller faire la guerre aux allemands (ou aux russes...) qui d�barquaient... Habill�s en moins de deux, apr�s un passage � l'armurerie, nous voil� allong�s dans la bouillasse de novembre � d�busquer et chasser ses maudits teutons/ruskovs fantomatiques...
"Pan Pan ! T'es mort !". Mon premier paintball !

Vers la fin des classes, on nous annonce la Journ�e Portes-Ouvertes de la base. Notre mission du jour : D�filer au pas devant les officiels, les �lus et citoyens de Nancy, de Toul ainsi que nos familles, et chanter en ch�ur la Marseillaise ainsi que deux autres chants militaires bien lourds et plombants...
Dans notre dortoir, notre section s'acharnait � apprendre ces foutues paroles que nous devions connaitre sur le bout des doigts si nous ne voulions pas �tre "d�scratch�". Les m�lodies �taient d'une pauvret� affligeante, atones et monotones, tristes � mourir, ce qui n'aidait pas non plus � m�moriser le truc. Alors j'ai commenc� � fredonner We Will Rock You en changeant les paroles du refrain par "Ooon est tous d�-scratch� !". Rapidement, dans la joie et la bonne humeur, mes camarades de chambres se rassemblent autour de moi et m'aident � r��crire les paroles des couplets avec des faits de notre quotidien... Un beau bordayle qui attire les appel�s des autres chambres quand nous r�p�tons plus tard notre version de ce classique ! Comme je regrette de ne plus avoir de trace de ce texte... Et ce qui devait arriver arriva, un Sergent-Chef d�barque dans la chambre, ni une ni deux au garde-�-vous, il ramasse la feuille � mes pieds... et me descratche... L�, c'est certain, je vais finir au trou !
Le lendemain, le Major m'informe de ma punition : je vais devoir servir le repas pendant trois jours au mess des officiers et passer devant le Colonel de la base. Si je me fous de la premi�re punition, la seconde m'angoisse, car je me doute qu'il n'en restera pas l�. Le midi, en posant l'assiette devant un Capitaine, je l'entends siffloter We Will Rock You. L'enfoir�, il me nargue, mais je ne peux rien r�pondre... En fin de journ�e, je suis au garde � vous, tremblant comme une feuille, dans le bureau du Colonel. Il me parle de la journ�e portes-ouvertes, de son importance, de l'image de l'Arm�e... Il me dit qu'il aimerait qu'avec mes camarades on am�liore notre chanson, que je lui soumette une version qui �dulcore un passage scabreux, et qu'on la chante tous ensemble le jour J. Je souris, enfin un peu de gayt� ! J'ai envie de lui sauter au cou et de lui faire un bisou. Je me contente d'un "Oui, mon Colonel !".
Arrive le fameux jour... On vient de finir nos titres officiels. Dans ma t�te "And now, it's showtime !". Je sors du rang et vient me mettre quelques pas devant le bataillon. Tous ensemble, on joue du velcro sur notre poitrine et frappons du pied en rythme en guise d'intro. Scratch Scratch Frappe du pied. Scratch Scratch Frappe du pied. Quand je me sens pr�t, je commence le premier couplet tout seul. Puis toute la section en ch�ur "Ooon est tous d�-scratch� !" Scratch Scratch Frappe du pied "Ooon est tous d�-scratch� !".�Scratch Scratch Frappe du pied... On continue ainsi l'autre couplet et les refrains adlib tous ensemble. On termine dans l'euphorie en faisant voler nos calots en l'air fa�on remise de dipl�me US. Applaudissements. Merveilleux souvenir pour terminer ces classes...
On allait pouvoir rentrer chez nous pour le week-end. Dans la voiture avec mes parents sur la route du retour vers Paris, je me souviens de mon p�re qui me dit avec un sourire et deux doigts de fiert� aussi "T'as pas pu t'emp�cher de faire le con !". Je me souviens aussi de ma r�ponse : "Attends, j'ai r�ussi � faire chanter du Queen � l'Arm�e ! Respect !". Je me souviens �galement de ce qu'a dit ma m�re ensuite en riant : "On va �viter de raconter �a � M�m�..."

L'affectation

Retour sur la base de Nancy pour quelques jours, le temps de remplir des formulaires avec des v�ux d'affectation. Je ne sais plus trop ce que je demande, des trucs � proximit� de Paris, tr�s certainement...
Le Lieutenant J_ m'appelle et m'invite � l'accompagner marcher dehors pour fumer une cigarette. On discute de comment j'ai v�cu les classes, ce que je pense de l'arm�e, de ma vie � Paris... J'ai longtemps repens� ensuite � cette balade. Est-ce qu'il savait que j'�tais homosexuel ? Est-ce qu'il me tendait une perche pour savoir si je voulais �tre r�form� et �ventuellement me dispenser des 9 mois suivants ? Tout �tait dans le sous-entendu... Je n'ai aucune certitude l�-dessus encore aujourd'hui. J'ai jou� franc-jeu et ai dit quelque chose du genre "Je ne pensais pas que quelqu'un comme moi vivrait les classes aussi bien. J'ai pris �a comme une colonie de vacances avec des activit�s sympas et d'autres un peu plus chiantes (...) Maintenant, je n'ai jamais eu envie de faire mon service, prendre les armes n'est pas compatible avec mes convictions pacifistes. Mais bon, � devoir le faire, autant le faire bien, donc �a me casserait vraiment les couilles d'avoir une affectation � la con... Si je pouvais en tirer quelque chose de bien, ce serait d�j� �a...".
Deux jours plus tard, J_ me donne les papiers de mon affectation : "Tu as une maitrise d'Anglais. On a besoin d'un teacher sur la base a�rienne 901 o� je suis". J'ouvre l'enveloppe. Drachenbronn. Drachenbronn ?!? Mais c'est o� �a ? "A la fronti�re franco-allemande. La Base 901 est un contr�le-radar enterr� dans les vestiges de la Ligne Maginot. Tu ne vas pas beaucoup voir le soleil, mais �a ira. T'inqui�te."

Je quittais Nancy avec un l�ger pincement au c�ur, j'avoue.
J'�tais p�d� et j'avais surv�cu au truc. Sans qu'on me brime.
Mais qu'en serait-il en Alsace ? Tout � recommencer. Angoisse.
Je n'avais pas la moindre id�e de ce qui m'attendait l�-bas.
Si j'avais su...

(A suivre...)