Il se peut qu'un jour proche, nous, homosexuel(le)s, ayons le droit de nous marier et d'avoir des enfants. Aujourd'hui, 18 novembre 2012, alors que dans les rues nos opposants défilent, insultent et vocifèrent contre nous, contre nos droits à être considérés comme tout autre citoyen, j'ai envie d'écrire une lettre à l'enfant que je n'aurai jamais, de raconter à cet adolescent imaginaire ce par quoi est passé celui qui aurait pu être son père.
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Mon P'tit Bonhomme,
Ton père n'était pas encore né quand à Stonewall les homosexuels sont sortis pour la première fois de leurs placards pour dire "Assez de discriminations". C'était en 1969. Ton père ne se savait pas encore homosexuel quand sous l'impulsion de François Mitterrand l'homosexualité a été retirée de la liste des maladies mentales de l'Organisation Mondiale de la Santé, c'était seulement en 1981. Mais ton père a marché dans les rues, a donné de la voix, a beaucoup écrit pour que les gays, lesbiennes, bi, trans soient reconnus par la France, que nous ne soyons plus discriminés, que nous ayons les mêmes droits que les autres citoyens. Nous avons eu cette première victoire du PACS qui ne s'est pas faite sans peine. Des mots comme "les pédés, au bûcher !" résonnent encore dans mes oreilles. Nous avons finalement obtenus une certaine reconnaissance avec quelques droits civiques.
Tu te demandes peut-être pourquoi je n'en suis pas resté là, pourquoi j'ai continué à me battre. Après tout, je n'ai jamais souhaité me marier. J'ai toujours considéré que le PACS était un compromis boiteux, en contradiction avec la Constitution qui dit que "les citoyens naissent et demeurent libres et égaux en droits". Pourquoi, alors qu'ils ont les mêmes devoirs que les autres citoyens, les homosexuels n'auraient pas les mêmes droits, dont celui de se marier. Et puis je ne pense pas être quelqu'un d'égoïste. Ce n'est pas parce que le mariage ne rentre pas dans mes objectifs de vie personnelle que je ne pense pas à mes ami(e)s qui eux en ressentent le besoin. Par ailleurs l'ouverture du mariage permet l'accès à l'adoption et à la filiation. Certes, les homosexuels n'ont pas attendu une loi pour devenir parents, il existe déjà de nombreux enfants qui vivent dans des familles homoparentales. Mais ceux-ci ont besoin d'un cadre légal, d'être protégé en cas de malheur. Je pense également à tous ces jeunes qui se découvrent homosexuels, cela peut être difficile à assumer, encore plus s'ils ressentent les préjudices d'une différence sociale. L'égalité des droits leur permettrait de s'épanouir plus sereinement.
Tu comprends maintenant pourquoi cette lutte pour l'égalité des droits est tellement importante pour moi.
A l'heure où je t'écris, il y a des gens qui protestent dans les rues. Eux ne réclament pas l'égalité des droits mais l'abandon du projet de loi. Je m'attendais à une levée de boucliers contre nous de la part des familles religieusement intégristes ou de celles trop conservatrices, je m'attendais à des insultes. J'en avais juste minimisé la violence. J'ai beau avoir une épaisse carapace, je t'avoue que j'ai été atteint comme rarement. J'imagine le traumatisme qu'ils peuvent causer à d'autres peut-être plus fragiles que moi. Ils se réclament des valeurs familiales et en donnent un bien piètre exemple. Je plains leurs enfants. Je pourrais démonter par la raison leurs arguments un à un comme je l'ai déjà fait, mais à quoi bon, on ne raisonne pas un homophobe. Je pourrais m'égosiller à leur répondre sur le même registre de l'insulte, mais à quoi bon, ça m'aurait soulagé juste deux minutes sans résoudre quoi que ce soit.
Je crois que leur haine vient principalement de la peur stupide d'une éventuelle perte d'avantages, et surtout de leur peur de la différence. Je crois aussi que c'est en cela que nous avons réellement besoin d'une loi sur l'égalité des droits. Sans elle, l'Etat montre qu'il y a en effet une différence et encourage implicitement les homophobes sur le terrain de la haine. Avec elle, l'Etat joue son rôle éducatif et participe à la lutte contre l'homophobie.
J'aurais tellement aimé que les débats sur l'ouverture des droits se fassent différemment. J'aurais aimé que les média écrits et télévisés n'emploient pas à outrance le terme "Mariage Homosexuel" comme ils l'ont fait jusqu'à présent. Cette expression est anxiogène chez nos opposants. Un simple "Réforme du Mariage" aurait été source de bien moins d'irritations.
J'aurais aimé que les média ne se jettent pas sur la moindre déclaration homophobe pour faire de l'audience ou vendre du papier. Ont-ils conscience qu'ils alimentent un fleuve empoisonné ?
J'aurais aimé qu'une chaîne de télévision organise dès la présentation du projet un grand débat avec en plateau des politiques, des représentants des associations de tous bords. Chacun aurait exposé calmement ses souhaits et ses craintes, les questions auraient été posées, les réponses données. J'aurais aimé que le Service Public joue son rôle.
J'aurais aimé que soit appliquée la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure qui fait des discriminations et insultes fondées sur l'orientation sexuelle une circonstance aggravante et qu'elle punisse ceux qui confondent "débat publique" avec "guerre idéologique".
J'aurais aimé plus d'intelligence et de respect. Tout simplement.
Malgré ce qu'il se passe dans les rues, je suis confiant. Nous allons obtenir cette égalité des droits que nous réclamons depuis tant d'années. J'ai confiance en la Ministre des Affaires Sociales, Marisol Touraine, qui tient bon face à la grogne et renouvelle son engagement et celui du gouvernement. Mais comme je garde un mauvais souvenir du premier passage du PACS à l'Assemblé Nationale où les députés de gauche ont eu une faiblesse, je vais tout de même garder les doigts croisés dans le dos. Oui, j'y crois, j'en suis certain.
Comment pourrait-il en être autrement alors que d'autres pays ont déjà légiféré ou évoluent en ce sens ?
Comment pourrait-il en être autrement sans provoquer une gayrilla !
Un jour viendra où la loi sera votée et promulguée. Ce jour là sera pour moi un grand jour de fête. Je me vois sourire à m'en fendre le visage, je me vois soulagé. Toi qui me connais bien, tu vas dire que tu me vois avec des larmes plein les yeux. J'imagine que nous ferons une grande fête avec ton autre père, avec nos ami(e)s, nos familles, sans oublier nos soutiens. Quel bonheur ce sera de déposer les armes après tant d'années de luttes et d'humiliations. EGAUX, ENFIN !
Je vais dire aussi que j'espère avoir le triomphe humble et respectueux. Mais toi qui me connais bien, tu sais aussi que je vais avoir du mal à ne pas persifler dans les oreilles de ceux qui m'ont trop agressé. Je déplore par avance ce mauvais exemple que je te donnerais alors...
Je ne sais pas si tu seras toi-même homosexuel. Je sais juste que je suis fier d'avoir modestement œuvré à mon échelle pour qu'au cas où, tu ne connaisses pas les discriminations que nous avons vécues, fier de te laisser un monde où tu pourras grandir et t'épanouir comme tu le souhaites, sans aucune restriction. Peu importe ton orientation sexuelle, tu auras le choix, tous les choix.
Je t'embrasse,
Ton père qui t'aime.
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Si j'ai articulé ainsi ma contribution à "C'est la lutte nuptiale !" c'est aussi parce que j'ai conscience du passage de relai. La génération LGBT avant la mienne a combattu pour être acceptée, la notre pour l'égalité. La lettre à un enfant me semblait un angle pertinent pour incarner cette notion de transmission d'héritage. J'espère que la prochaine génération aura a cœur de mettre son énergie dans la lutte contre l'homophobie. Il y a encore tant à faire.
Certains se demanderont peut-être pourquoi j'ai écrit en introduction "lettre à l'enfant que je n'aurai jamais". Tout simplement parce que pour moi, c'est à la fois trop tôt et trop tard.
Trop tôt parce que je ne suis pas certain d'être assez responsable aujourd'hui. Etre un bon parent c'est aussi savoir qu'on n'est pas prêt pour l'être.
Trop tard parce que lorsque j'aurai cette maturité, je serai probablement trop vieux pour être un bon père.
Mais comme l'écriture de ce billet m'a ébranlé un peu plus que je ne le pensais, je me dis que peut-être... un jour... après tout... un adolescent ?
Mais que deux choses soient bien claires :
Même si je ne veux pas me marier, je veux assister à vos mariages.
Même si je ne veux pas adopter, je veux être le parrain d'au moins un de vos enfants !
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