Avant-propos :
Ce papier fait suite à une conversation Twitter.
En bref et en conservant l'anonymat des protagonistes : L'un dit qu'on lui propose 120 € pour 2 heures (massage et pipe incluse). Un autre lui répond que le prix est raisonnable. Nous sommes deux autres à être dérangés par cet "encouragement tacite". On me demande des explications qui ne sont pas faciles à exprimer en 140 caractères et m'encourage à en faire un papier sur mon blog...
Au risque de passer pour un vieux réac ou (pire encore) un prude coincé du cul (ce qui en surprendra plus d'un je pense), je vais donc tenter une explication... Et tant pis pour la révélation de cet épisode peu glorieux de ma jeunesse d'adulte, si mon expérience peut servir à quelqu'un...
J'habite un petit studio de 14m² sous les toits à Trinité dans le IXème, en bas de la Rue Jean-Baptiste Pigalle. Le matin je suis à la fac où je commence ma maitrise d'anglais, l'après-midi chez Marks & Spencer pour tenter de joindre les deux bouts en payant les factures et les loisirs, et les nuits dans les bars du marais ou en boite où je danse et drague. Une bonne petite jeunesse studieuse avec ce qu'il faut de dépravation...
Une copine styliste de l'époque m'entrainait régulièrement dans les showrooms des créateurs. Un vendeur de chez Jean-Paul Gaultier me trouvait à son goût, ce qui me permettait d'avoir une ristourne fort sympathique sur la marque prêt-à-porter JPG. Okay, on couchait ensemble de temps en temps. Mais comme on était quelque chose comme des sex-buddies, je n'avais pas l'impression de baiser pour des fringues. La ristourne était juste un bonus amical... Hélas, je ne connaissais personne chez Thierry Mugler et cette superbe veste en vinyle, même soldée, était hors de mon budget...
Ce soir là, on avait épilogué une heure pour savoir si on allait au Queen (qui était encore un club gay à cette époque) ou au Scorpion (ou au Scorp', je ne sais plus quel nom il portait en 1994). Notre petite bande de 4 a finalement échoué dans ce dernier. On danse, on rit, on s'éclate. Les soirs de semaine les boites gays étaient gratos et je trouvais souvent un jeune trentenaire pour me payer un verre. Ce n'était pas la crise, les mecs étaient plus ouverts et généreux ; et il n'y avait ni Internet ni réseau social pour que ceux-ci puissent chasser facilement à domicile, du coup, ils étaient moins farouches (certes il y avait le minitel, mais bonjour le saut dans l'inconnu...).
Deux heures du mat, j'ai soif. Je me colle près du bar en espérant qu'un mec que j'ai dans le viseur m'y rejoigne. Pas de bol, c'est un autre qui se pointe, pas désagréable mais il n'est pas ma cible. Il entame la discussion. Je reste un peu distant, faudrait pas qu'il dissuade l'autre. Il finit par dire "Je commence par te payer un verre ?". J'ai terriblement soif et un verre n'engage à rien ! "Oui, un rhum-coca, merci." (qu'on me pardonne, je mettais du coca dans mon rhum !!!). On échange deux ou trois banalités. Il voit bien que je ne suis pas intéressé, surtout que je cherche toujours du regard l'autre brun si séduisant... "Tu sais, quand je t'ai dit que je commençais par te payer un verre, je sous-entendais que je pouvais te payer pour autre chose." a-t-il dit en pointant du doigt un billet de 500 francs qui dépassait de son portefeuille (oui, je suis vieux et au siècle dernier, c'était des francs !).
- Non mais tu me prends pour une pute ? Je fais pas le tapin dans les boites, mec.
(...)
- T'es étudiant, non ? Je sais ce que c'est, les fins de mois difficile... Réfléchis...
- C'est tout vu !
(...)
- Bon si je ne te plais pas, je comprends. Mais ça va, je suis pas un monstre. Je suis même certain que tu vas prendre ton pied...
- Genre ! Prétentieux en plus... Ouais, t'es pas mal, mais c'est pas la question.
- Et bien ce soir tu as le choix. Soit tu repars d'ici baiser avec un mec pas mal pour rien, soit tu repars d'ici baiser avec un mec pas mal pour quelque chose en plus."
Il n'avait pas tort. Combien de fois étais-je sorti de cette boite avec un mec pour pas un rond ? Ça pourrait payer la petite veste de chez Mugler. Si je peux joindre l'utile à l'agréable... Et là, j'ai dit ce que je n'aurais jamais du dire : "Et qu'est-ce qui me dit qu'il n'est pas faux ton billet !". Il avait ferré son poisson et il le savait...
Peu après, je fais signe de loin à mes amis que je m'absente et que je reviens. Ils avaient l'habitude, et celle aussi de ne pas me voir revenir d'ailleurs... On sort de la boite, il hèle un taxi. On parle un peu. Je n'arrête pas de me dire "mais qu'est-ce que je fais" mais en même temps je joue le mec sûr de lui, histoire de ne pas me montrer comme quelqu'un de faible qu'on pourrait cogner... Aussi peut-être par défi personnel : en suis-je capable ?
On arrive chez lui, bel appartement du Quartier Latin. Il m'offre un verre, un autre rhum-coca que je n'ai pas le temps de finir. Il m'embrasse, me déshabille. Il est tendre, je suis surpris. On se suce. Il est correctement outillé ce qui rend la chose agréable. Il me langue correctement là où il faut. J'oublie définitivement l'enjeu du plan. Il avait raison, je commence déjà à prendre du plaisir. Il enfile une capote et prend ce pour quoi il a payé...
Moment tranquille après la baise, étendu sur le grand canapé du salon. Je ne dis rien. Je ne pense à rien. Juste j'entends sa respiration. Je finis par me redresser en cherchant mes fringues du regard.
- Tu ne veux pas passer la nuit ?
- Ah, mais la nuit, c'est beaucoup plus cher !
Il rit. Je ne sais pas s'il a compris que j'étais mal à l'aise et que je n'avais qu'une seule envie : partir ! Je me suis rhabillé. Il m'a tendu mon billet et à ouvert la porte.
J'ai fais signe à un taxi. "Boulevard Poissonnière. Au 25". Mes amis sont toujours au Scorpion. Je m'aperçois que je n'ai même pas pris de douche avant de partir. Je dois puer le sexe. Mais bon, entre les odeurs de tabac (Oui, on pouvait fumer dans les lieux publics ! Dingue !) et de transpiration dans cette boite, je devais passer inaperçu...
- Ah bah, t'es revenu ? C'était pas bien ?
- Mouais, pas mal, pas mal... Hahaha !
Quelques jours plus tard, j'ai finalement acheté cette veste tant convoitée. Un soir j'ai voulu la mettre pour sortir, je me suis ravisé... L'année précédente était sorti le film "Proposition Indécente" où Demi Moore acceptait de coucher avec Robert Redford pour un million de dollars. Moi j'avais estimé mon cul à 500 francs... A chaque fois que j'ouvrais le placard et que mon regard croisait la veste, ce que j'avais fait pour l'obtenir me revenait à l'esprit et me dissuadait de l'enfiler. J'ai fini par l'offrir à un ami qui fouillait dans mes placards et la trouvait à son goût...
Loin de moi l'idée de jouer les traumatisé, soyons bien d'accord là-dessus. Okay, j'ai couché pour un billet, mais il n'y a pas mort d'homme et j'ai connu des plans nettement moins agréables que celui-ci sans être rétribué pour autant... Je n'ai jamais conçu le sexe et l'amour comme deux choses indissociables. Je me demande même comment on peut tomber réellement amoureux sans être passé par la "case sexe". Mais bon, chacun fait comme il le sent et je ne me permettrai jamais de juger qui que ce soit sur ces questions...
N'empêche que cette petite histoire n'est pas sans conséquences... Et c'est bien pour cela que je dissuaderai toujours quiconque de m'imiter.
Déjà, j'estime avoir eu vraiment beaucoup de chances. Non seulement de tomber sur un mec au physique agréable qui savait bien faire ce pour quoi il payait mais surtout de ne pas avoir connu un plan violent où le mec m'aurait tabassé ou exigé un rapport non-protégé (chacun ses trips, ce ne sont pas les miens). J'ai entendu depuis une kyrielle d'histoires bien moins réjouissantes où le tapin avait morflé (et bien d'autres encore où le client s'était fait bastonner par celui qu'il croyait rémunérer pour du bon temps). Alors, prudence ! Parce que la honte d'expliquer votre histoire au poste de police ou aux urgences sera bien plus difficile à assumer que celle d'avoir vendu vos charmes !
On parlera aussi du fantasme éventuel que peut être celui d'être payé pour du sexe... Certes. Mais il se pourrait que la réalisation de ce fantasme ternisse un peu quelques autres petits plaisirs de votre vie. Vibrerez-vous de la même façon quand un amant ou un mari vous lancera un "petite pute" affectif pendant l'acte ? Des images peuvent se superposer sachant que oui, il a raison, tu as réellement fait la "petite pute". Lui raconterez-vous votre aventure d'une nuit ? Comment vous regardera-t-il après ? Ou garderez-vous ça pour vous ? Personnellement, depuis le temps, j'avoue ne plus savoir si j'en ai parlé à mon homme ou même fait une allusion. Et franchement, je n'ai pas envie de lui poser la question... Pareil lorsque des amis vous lanceront le terme de "pute" au détour d'une plaisanterie anodine et taquine. Vous rigolerez de bon cœur, parce que ce sont vos amis, mais le rire sera un rien jauni par la pensée "Olala, mes pauvres, si vous saviez..." et la remontée de souvenirs... Autant "salope" ne me dérange pas que "pute" me renvoie directement à cet épisode. Ne serait-ce qu'une seconde. Rien de grave. Juste comme une brève décharge électrique.
Encore j'aurais été dans le besoin avec des dettes, au bout du tunnel ou quoi que ce soit, mon cas de conscience aurait certainement été moindre. Mais non, là, ce n'était que pures futilités...
D'ailleurs que ce soit bien clair aussi, je n'ai absolument rien contre les professionnels du sexe tarifé (dès que l'individu est volontaire, libre et pas michetonné ou contraint...). Dans ce cas, il s'agit de personnes qui ont appris avec le temps à gérer la chose psychologiquement (hélas aussi, parfois à l'aide de drogues) et qui remplissent une mission que je juge utile à la société (qui devrait être moins marginalisée et plus encadrée du reste...). Respect.
Voilà en gros (ou peut-être en trop de détails) pourquoi vous ne m'entendrez jamais encourager, même tacitement ou pour plaisanter, un petit jeune dans ce délire de "sexe tarifé pour le fun". Vivez d'autres fantasmes que celui-là, franchement, il n'en vaut pas la peine...
Et si plutôt que comme "un vieux con coincé du cul", vous essayez de me voir comme "un grand frère", j'apprécierais...
Maintenant, vous êtes grands et majeurs, vous faites ce que vous voulez.
Sachez juste que vous n'êtes pas vaccinés...
Voilà. Ça, c'est fait. C'est dit !