L'homme est un homard comme les autres
Ce matin encore, je jouais sous ma douche à monter la température du mitigeur. Tourner le bouton, s'habituer à l'eau chaude, tourner un peu plus, s'habituer à nouveau, tourner encore et ainsi de suite... Peu à peu la vapeur emplit la salle de bain et moi je me demande à chaque fois si je vais pouvoir aller plus loin, tourner le bouton un peu plus encore. La réponse est oui bien évidement. Tel le homard dans sa casserole, on s'habitue toujours sans se rendre compte de rien. J'apprécie ce petit jeu stupide, surtout quand il fait froid dehors.
Un peu plus tard, j'essuie la vapeur d'eau sur le miroir du lavabo et constate avec un amusement enfantin à quel point j'ai rougi. Un homard...
On s'habitue à tout, au meilleur comme au pire. Nous élevons nos voix contre quelque chose qui nous dérange. Nous sommes fiers d'agir pour le bien collectif. Mais avons nous conscience qu'à chaque combat notre seuil de tolérance évolue imperceptiblement ? "Le mal" n'est pas une bête tapie dans l'ombre prête à surgir, il est un sale garnement en face de nous qui teste en permanence notre résistance et tente de pousser le bouchon un peu plus loin à chaque fois. Au final, nous réagissons plus mollement à ce que nous trouvions insoutenable, jusqu'à nous y habituer. Il faudra attendre une goutte d'eau de trop dans le vase pour nous faire sortir de nos gonds mais nous ne verrons pas que ce vase est en expansion...
Un peu plus tard, j'essuie la vapeur d'eau sur le miroir du lavabo et constate avec un amusement enfantin à quel point j'ai rougi. Un homard...
On s'habitue à tout, au meilleur comme au pire. Nous élevons nos voix contre quelque chose qui nous dérange. Nous sommes fiers d'agir pour le bien collectif. Mais avons nous conscience qu'à chaque combat notre seuil de tolérance évolue imperceptiblement ? "Le mal" n'est pas une bête tapie dans l'ombre prête à surgir, il est un sale garnement en face de nous qui teste en permanence notre résistance et tente de pousser le bouchon un peu plus loin à chaque fois. Au final, nous réagissons plus mollement à ce que nous trouvions insoutenable, jusqu'à nous y habituer. Il faudra attendre une goutte d'eau de trop dans le vase pour nous faire sortir de nos gonds mais nous ne verrons pas que ce vase est en expansion...
Je devais peut-être avoir une petite dizaine d'année, je revois mon Grand-Père interrompre son repas du midi parce qu'Yves Mourousi, présentateur du journal télévisé, avait fait une faute de français. Il s'était jeté sur le téléphone pour manifester sa colère auprès de la chaîne. Une semaine après, il recevait une lettre d'excuse signée du présentateur. "Ces hommes sont entendus par la France entière, ils donnent l'exemple. On ne peut accepter la médiocrité, elle contaminerait tout le monde". J'ose à peine imaginer qu'elle aurait été sa réaction aujourd'hui face aux nombreux bidonnages des rédactions et de la mollesse du CSA censé les surveiller...
Je revois ma Grand-Mère dans le bus tirer les oreilles d'un jeune qui faisait preuve de manque de courtoisie à l'égard d'une tierce personne. Je me demande quelle incivilité causerait aujourd'hui notre réaction.
On me dira que j'exagère encore, que tout ça n'est vraiment pas grand-chose. Oui, en effet. On s'y est habitué... Quand on se rappelle que Paul Amar avait été débarqué de l'antenne de France2 en 1994 pour avoir donné des gants de boxe à Tapie et Le Pen qu'il recevait en face à face, on tremble aujourd'hui à l'idée que Delahousse, Pujadas et autres Pernaut peuvent dire ou faire absolument n'importe quoi... Ils ne s'en privent pas hélas...
Dans le milieu des années 1980, j'entendais mon père vociférer contre les chaines de télévision et stations de radio qui donnaient la parole à Jean-Marie Le Pen. Il opérait sa propre censure en éteignant le poste. L'adolescent que j'étais avait alors tenté de le sermonner avec le fameux couplet sur la liberté d'expression et le devoir d'information... "La liberté d'expression ne doit pas être au dessus des lois et des valeurs fondamentales d'égalité et de respect des individus. Tu verras que les propos qu'il tient aujourd'hui feront peu à peu leur nid dans les esprits et gagneront du terrain. Tu verras...". Il ne s'est hélas pas trompé et le discours de l'extrême-droite d'hier est aujourd'hui quasiment celui de la droite républicaine (et je préfère taire mon sentiment vis-à-vis du Ministre de l'Intérieur de gauche actuellement en place...).
Je m'aperçois aussi que je n'échappe pas à cette triste règle. En 1993, j'habitais un studio à Trinité. J'avais descendu une couverture que j'avais en trop à un sans-abri qui squattait au pied de l'immeuble. Vingt ans plus tard, ils sont bien plus nombreux. Et quand je les croise le long de la Gare du Nord, il ne me vient pas à l'idée d'aller chercher dans mes placards si j'ai de quoi leur apporter un peu de chaleur. On s'habitue à tout...
Avec les réseaux sociaux, l'information circule et se propage plus vite qu'autrefois. Les comportements odieux sont instantanément pointés du doigt et conspués en place publique. Chacun y va de son petit tweet ou retweet assassin pour condamner. Mais là encore, nous nous habituons, si nous avons l'impression d'avoir enfilé le costume du super-héros pendant quelques secondes, nous passons aussitôt à autre chose... Là encore, je n'échappe pas à cette grande caisse de résonance et à ses travers. Je me demande juste si les réseaux sociaux ne vont pas contribuer à faire reculer plus vite encore notre seuil de tolérance, en banalisant à la longue ce qui est susceptible de nous offusquer...
Autant mon Grand-Père et mon Père arrivaient à prévoir la prochaine étape, "si on laisse passer ça, il va se passer ça", que je n'arrive pas à envisager ce que l'avenir nous réserve. Jusqu'où cela va-t-il aller ? Et demain ? Après nous, le déluge ?
Allons-nous tous mourir façon homard thermidor ?
Je revois ma Grand-Mère dans le bus tirer les oreilles d'un jeune qui faisait preuve de manque de courtoisie à l'égard d'une tierce personne. Je me demande quelle incivilité causerait aujourd'hui notre réaction.
On me dira que j'exagère encore, que tout ça n'est vraiment pas grand-chose. Oui, en effet. On s'y est habitué... Quand on se rappelle que Paul Amar avait été débarqué de l'antenne de France2 en 1994 pour avoir donné des gants de boxe à Tapie et Le Pen qu'il recevait en face à face, on tremble aujourd'hui à l'idée que Delahousse, Pujadas et autres Pernaut peuvent dire ou faire absolument n'importe quoi... Ils ne s'en privent pas hélas...
Dans le milieu des années 1980, j'entendais mon père vociférer contre les chaines de télévision et stations de radio qui donnaient la parole à Jean-Marie Le Pen. Il opérait sa propre censure en éteignant le poste. L'adolescent que j'étais avait alors tenté de le sermonner avec le fameux couplet sur la liberté d'expression et le devoir d'information... "La liberté d'expression ne doit pas être au dessus des lois et des valeurs fondamentales d'égalité et de respect des individus. Tu verras que les propos qu'il tient aujourd'hui feront peu à peu leur nid dans les esprits et gagneront du terrain. Tu verras...". Il ne s'est hélas pas trompé et le discours de l'extrême-droite d'hier est aujourd'hui quasiment celui de la droite républicaine (et je préfère taire mon sentiment vis-à-vis du Ministre de l'Intérieur de gauche actuellement en place...).
Je m'aperçois aussi que je n'échappe pas à cette triste règle. En 1993, j'habitais un studio à Trinité. J'avais descendu une couverture que j'avais en trop à un sans-abri qui squattait au pied de l'immeuble. Vingt ans plus tard, ils sont bien plus nombreux. Et quand je les croise le long de la Gare du Nord, il ne me vient pas à l'idée d'aller chercher dans mes placards si j'ai de quoi leur apporter un peu de chaleur. On s'habitue à tout...
Avec les réseaux sociaux, l'information circule et se propage plus vite qu'autrefois. Les comportements odieux sont instantanément pointés du doigt et conspués en place publique. Chacun y va de son petit tweet ou retweet assassin pour condamner. Mais là encore, nous nous habituons, si nous avons l'impression d'avoir enfilé le costume du super-héros pendant quelques secondes, nous passons aussitôt à autre chose... Là encore, je n'échappe pas à cette grande caisse de résonance et à ses travers. Je me demande juste si les réseaux sociaux ne vont pas contribuer à faire reculer plus vite encore notre seuil de tolérance, en banalisant à la longue ce qui est susceptible de nous offusquer...
Autant mon Grand-Père et mon Père arrivaient à prévoir la prochaine étape, "si on laisse passer ça, il va se passer ça", que je n'arrive pas à envisager ce que l'avenir nous réserve. Jusqu'où cela va-t-il aller ? Et demain ? Après nous, le déluge ?
Allons-nous tous mourir façon homard thermidor ?