Voulant échapper aux trépanés du bulbe rachidien manifpourtousien qui ont encore battu le pavé hier, nous avons décidé avec quelques amis de nous rassembler pour prendre un verre. Les abords des Buttes Chaumont nous semblaient suffisamment éloignés du parcours des fascistes pour être un gage de tranquillité. Grosse erreur. J'ai évité Charybde pour me jeter dans la gueule de Scylla...
Tout se passait pourtant bien, peinards avec nos Mojitos au Kaskad Café. A la table voisine, trois jeunes presque trentenaires sont un peu bruyants, mais nous ne sommes pas de la plus grande discrétion non plus. Sauf qu'en parlant fort, fatalement, je n'ai pu qu'entendre une phrase malheureuse prononcée par l'un d'eux. "Mais oui, tu peux dire à ton pote de venir à la soirée... Du moment que ce n'est pas un goy... Ma sœur sera là... Alors...". Alors bien évidement, je n'ai pu m'empêcher d'intervenir. Goydorak, Go !
" - Et c'est quoi le problème ?
- Pardon ?
- Que votre sœur rencontre un goy, c'est quoi le problème ?
- Ça va, quoi !
- Ben non, ça va pas. Vous vous rendez compte que votre attitude est raciste quand même ? Et le dire suffisamment fort pour que d'autres entendent, je peux le prendre comme une agression.
- Nan mais je vous agresse pas vous personnellement, c'est juste une façon de parler.
- C'est clair qu'avec nous, votre frère a plus à craindre que votre sœur. Mais là n'est pas le problème. Libre à vous d'avoir une expression pour désigner les "non-juifs" mais quand vous l'utilisez, essayez de ne pas y mettre une intonation péjorative dans un contexte discriminatoire..."
La conversation aurait pu s'envenimer et dégénérer, j'étais remonté comme un coucou suisse (et le gabarit du trio ne m'impressionnait pas surtout), mais mon interlocuteur a eu la sagesse qui m'a fait défaut en bredouillant une excuse comme quoi il n'aurait "pas du, ou être plus discret" (sic!).
J'ai juste conclu en lui disant que si je désapprouvais entièrement les idées et la méthode de Dieudonné, en agissant ainsi, il ne faisait qu'encourager les connards qui le soutiennent, et qu'il risquait de manquer de crédibilité s'il criait "à l'antisémitisme"...

Ma réaction épidermique au terme "goy" remonte à l'époque où je bossais pour une boite de comm' tenue par des israélites. Tout s'y passait grosso modo comme dans toutes boites de comm' sauf que les clients étaient essentiellement de la même communauté. Un jour, l'un d'eux m'avait demandé si j'étais "juif ou goy" et après ma réponse, avait insisté en catimini auprès du boss pour que sa campagne soit confiée à un D.A. juif... Bien évidemment, j'ai fait un scandale mais le boss a rétorqué qu'il fallait que je le comprenne parce que "les parents de ce client ont connu la Shoah". Ah ben voilà... Que voulez-vous répondre à ça...

Les religions ont le don de me saouler en ce moment. Avant de l'ouvrir en présentant la carte de l'antisémitisme, ou celle de la cathophobie ou de l'islamophobie, faudrait peut-être balayer devant sa porte et avoir une attitude moins discriminatoire...
Du coup, puisque j'hurle souvent contre l'homophobie, je me demande s'il m'arrive aussi d'avoir des propos hétérophobes. Miroir, mon beau miroir, dis-moi que je ne suis pas hétérophobe !

 

 

____ EDIT ____ 19:50

Comme le soulignait à juste titre Charles sur twitter l'attitude du garçon qui "décide pour sa sœur" est tout aussi choquante. Après je ne vais pas hiérarchiser. Est-ce qu'elle l'est plus ou moins que celle évoquée plus haut ? Je n'en sais rien et peu m'importe. Passé un certain degré de bêtise, j'ai tendance à tout mettre dans le même sac... J'aurais néanmoins pu/du la mentionner plus explicitement en effet.
Je souscris également à ce que me dit Virgile comme quoi "La Shoah a traumatisé une génération. Du coup, réflexes très communautaristes genre “tout le monde est dangereux”, que cela crée une "grosse fierté identitaire pour surcompenser l’humiliation". Nous sommes aussi d'accord que cela explique sans pour autant justifier...
J'en profite pour ajouter un tweet de Gilda , une conclusion idéale que j'aurais aimé pondre pour ce papier :

"Que les différences auxquelles nous ne pouvons rien ne servent pas à s'entrejuger, se discriminer."
Gilda F.