Le fond et la forme
Aussitôt l'affiche officielle de campagne de Sarkozy publiée, qu'éclate le pseudo-scandale du jour sur le net et twitter : la photographie de fond sur laquelle est incrustée la tête du candidat a été achetée dans une banque d'image !
En effet, je suis bien d'accord avec @Pingui et @virgile_ sur le fait qu'il n'y a rien de répréhensible à demander à son agence de communication d'acheter une photo dans un catalogue pour réaliser une campagne de pub. Virgile publie d'ailleurs encore un excellent billet sur ce thème. Oui, à chacun sa profession... J'adhère.
Sauf que...
Il y a tout de même un souci et de taille. La photographie achetée par le créatif/l'agence représente la Grèce, un détail qui serait passé inaperçu sans la diffusion du fichier numérique de l'affiche et des données EXIF de la photo.
Il va sans dire que je me moque littéralement qu'il ne s'agisse pas d'une prise de vue de nos rivages, je ne suis pas nationaliste pour deux sous. Cependant, je ne peux m'empêcher de pouffer sur le choix d'une photo de la mer Egée. Vu le contexte économique de la Grèce, l'opposition avec la France Forte prête doucement à rire. Est-ce cela que nous propose le candidat Sarkozy ? Un avenir aux allures de la tragédie grecque actuelle ?
On me dit alors que "Cette image répondait peut-être juste à ce que cherchait le créa. Le fait que ce soit la Grèce est secondaire". Alors là non... Pas d'accord du tout, mais pas du tout, du tout.
En infographie, aucune image est secondaire. A fortiori dans le cadre d'une affiche de campagne, chaque élément doit être méticuleusement étudié pour porter le message voulu sans le parasiter de la sorte. Cela fait aussi partie du métier de créatif : il ne s'agit pas de sélectionner une photo parmi tant d'autres, d'ajouter un visage et un slogan. Et basta, on encaisse le chèque. Il faut être capable de justifier le choix de l'image : pourquoi celle-ci et pas une autre, pourquoi elle est idéale pour accompagner le message, et surtout pourquoi elle ne lui nuira pas. Cela fait partie du métier, j'insiste lourdement encore dessus.
J'imagine que la hauteur du budget de communication (qui sera probablement remboursé par les citoyens si le candidat en question arrive à obtenir 5% des suffrages) peut justifier que l'équipe Sarkozy exige réponses à ses questions et pinaille sur le moindre détail.
Voilà ce qui aurait pu/du être fait en deux temps trois mouvements :
1 - Choisir dans une banque d'image le paysage marin souhaité dans le brief de créa. J'imagine que les mots "calme", "paisible", "équilibre" devaient être cités. Les photos abondent dans ce domaine, on peut en choisir facilement une qui ne soit pas connotée économiquement de la sorte.
2 - Détourer le ciel
3 - Un dégradé pour le ciel , un autre pour l'horizon
4 - On rajoute la mer entre les deux dégradés
5 - On ajuste les teintes de la mer et éventuellement un petit nuage sur l'horizon histoire de...
Au final, on obtient un fond exempt de toute polémique. Ça m'a pris exactement 5 minutes, il m'aura fallu plus de temps pour écrire ce billet. Et le résultat est quasiment identique au fond de l'affiche de campagne. Si le créatif avait réellement flashé sur la photo initiale, il aurait pu ainsi la reproduire en moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire.
Donc oui, de mon humble point de vue de créatif indépendant, il y a bien faute professionnelle. J'aurais été son supérieur hiérarchique que je l'aurais certainement convoqué pour lui coller un avertissement. Sachant que le candidat ne bénéficie pas d'une côte élevée de popularité, je lui aurais même demandé si son choix de photo était intentionnel, s'il ne serait pas livré à une plaisanterie personnelle qui aurait été découverte malgré lui. J'aurais ensuite présenté mes excuses au client en lui proposant une autre affiche accompagnée du remboursement intégral du budget.
J'en profite du coup pour émettre une réserve sur le choix de la mer. Si je comprends bien l'image d'un retour au calme après la tempête qu'on nous distille dans cette affiche de campagne, la mer est aussi l'endroit où on se noie...
Mon esprit vicieux se demande aussi si cette tempête dans un verre d'eau n'est pas orchestrée pour détourner l'attention.
Et comme le dit Virgile dans la conclusion de son billet : "Comme si on n'avait pas de critiques suffisamment sérieuses et argumentées à opposer à Sarkozy ou à Le Pen, pour perdre son temps avec des «affaires» pareilles..."
Une bonne création graphique ne doit pas dissocier le fond de la forme, je déplore dans cette affaire que la forme ait pris le dessus sur le fond.
En fait non, là c'est le fond qui a pris le dessus, mais pas le même...