L'année 2016 avait mal commencé avec le décès de David Bowie en janvier, à mi-parcours, en juin, c'était Prince qui tirait sa révérence, et pour terminer de la façon la plus sordide qui soit, le jour de Noël, l'interprète de Last Christmas, George Michael passe de vie à trépas. Sale temps pour les icônes gays de nos playlists...
Let's Dance a été le morceau de ma rencontre avec Bowie en 1983. Ce n'est que plus tard que j'ai découvert sa discographie. Son personnage sulfureux et ambivalent avait tout pour me séduire. J'ai aimé toutes les périodes de son évolution, du Glam Rock à la classe absolue de son dernier album en passant par les années MTV.
Rencontre tardive avec Prince également, dont je suis devenu fan absolu en 1986 avec l'album Parade (Kiss, Girls and Boys...) même si Controversy et Purple Rain avaient titillé mes oreilles un peu plus tôt. J'aimais son audace, son authenticité, son indépendance, la richesse incommensurable de sa créativité, et surtout son extravagance ! Je ne l'ai jamais quitté, si bien que j'ai l'impression que chaque moment important de ma vie pourrait être illustré musicalement par une de ses chansons.
Le cas de George Michael est différent, j'ai assisté à la naissance de sa carrière. En 1982, quand il explose avec Wham!, je suis au collège, mes copines de classes ont des sweat-shirts blancs à son effigie, des photos de lui scotchées sur leurs cahiers et des posters du groupe punaisés sur leurs murs. On se trémousse allègrement sur Club Tropicana dans les boums (#PointBath ;-) ) et ce sera l'hystérie collective avec Wake Me Up Before You Go-Go deux ans plus tard. Déjà, je vois qu'il y a quelque chose d'un peu louche dans les gesticulations de ce grand gaillard aux mitaines roses et chaussettes fluos, mais bon... Aussi j'ai bien ri quelques années plus tard quand son homosexualité est devenue notoire en repensant aux midinettes in-love du collège. Contrairement à Bowie et Prince, j'ai vécu toute la carrière de George Michael, avec ses hauts et ses bas, et musicalement, j'en ai apprécié toutes les facettes, des morceaux destinés aux clubs, parfois un peu trashy (I want your sex, Outside, Freeek...) aux balades romantiques. Il était un des rares à réussir ce grand écart entre les deux genres, aussi excessif dans le titre pop un peu trop sulfureux que dans le slow un peu trop sirupeux... Et quelle voix surtout !
Si Prince jouait allègrement avec son côté androgyne, si ses tenues de scène auraient pu trouver une place de choix dans une garde-robe de drag queen, ses nombreuses conquêtes féminines ne laissaient aucun doute sur son hétérosexualité, même si beaucoup se posaient la question.
En 1972, David Bowie, en pleine période Ziggy Stardust, avait fait scandale en annonçant sa bisexualité. Dans ses nécrologies en janvier dernier, les média se sont contentés de mentionner son ambigüité, du bout des lèvres, comme s'il ne fallait pas salir la mémoire...
Encore une fois, le cas de George Michael est différent, parce que sa sortie de placard s'est faite avec grand fracas mais aussi parce que sa discographie est imprégnée explicitement de sa sexualité. Et pourtant...
À propos de George Michael, les médias ont parlé hier de son "coming-out suite à un attentat à la pudeur en 1998". Déjà, il faut tout de même préciser une chose qui a son importance : un coming-out est un acte volontaire, réfléchi, souvent préparé, où l'intéressé choisit le moment, les mots et les personnes à qui il se confie. En l'occurrence, un piège tendu par un policier en civil dans un lieu de drague, suivi d'une arrestation et d'une exposition publique s'apparente davantage à un outing forcé qu'à un coming-out. Il y a tout de même une sacrée différence. Si je peux comprendre l'"outing militant" lorsqu'il s'agit de personnalités tenant des propos contraires aux droits de la communauté LGBT+, je trouve dans les autres cas ce procédé d'une violence sans nom. Jean-Luc Romero a une phrase très juste à ce sujet : «Le plus dur pour moi n'était pas que tout le monde apprenne mon homosexualité, puisque j'étais militant et que j'avais prévu de faire mon coming-out. Le pire, c'était de passer pour un pédé honteux, de me faire voler ma vérité». Dans la mesure où nous n'avions aucun doute sur l'homosexualité de George Michael et qu'il a su rebondir sur cet évènement, nous avons tendance à minimiser ceci. Il déclarera plus tard que malgré la tourmente de ce scandale, c'était la meilleure chose qui pouvait lui arriver, être enfin lui-même. Il a ainsi pu nous offrir de superbes morceaux ouvertement gays, sans la moindre ambigüité, euphémisme ou pirouette d'auteur. Et pourtant, même si sa carrière est définitivement celle d'un artiste homosexuel, même si son œuvre en est indiscutablement imprégnée, pas une seule fois le mot n'aura été prononcé dans les nécrologies des journaux télévisés et autres. Il en est de même pour ses problèmes liés aux drogues, pas un mot sur sa consommation excessive d'héroïne...
Un grand lessivage médiatique de choses jugées trop sales pour le grand public et la mémoire collective ?
Il ne s'agit pas de réduire un artiste à son orientation sexuelle, mais de prendre en compte l'importance de celle-ci dans son œuvre.
Ces trois stars auront su parler de sexualité, auront réussi à lancer des pavés subversifs dans la marre des convenances. Indiscutablement, ils auront à leur manière contribué à l'évolution des mentalités, pousser le public à prendre en compte et accepter les différences d'autrui. Et peut-être même, ils auront permis à de jeunes homos à s'accepter eux-mêmes.
Les voir partir si tôt est un déchirement.
Si les artistes féminines ont encore ce pouvoir de pousser à la réflexion sur les questions sexuelles, on peut constater que la chose est plus périlleuse pour leurs homologues masculins, toujours plus lisses et formatés au fil des ans... La relève n'est hélas pas assurée...
Rest in peace.
Rest in kitsch !
David Bowie
8 janvier 1947 † 10 janvier 2016
Space Oddity - 1969
Prince
7 juin 1958 † 21 avril 2016
Girls and Boys - 1985
George Michael
25 juin 1963 † 25 décembre 2016
Ouside - 1998
Freeek - 2004
†
Oyez Oyez !