Fifty

Fifty

Se sortir les doigts de la mélasse qu’on a dans le cerveau pour les poser sur le clavier et tenter de démêler les sales fils enchevêtrés… Comme si le marasme pandémique actuel ne suffisait pas à noircir un tableau pas très rose à la base, il a fallu que je me coltine un changement de dizaine aussi chaotique que prévisible et anticipé. On parle souvent du complexe de Peter Pan de ces jeunes adultes qui refusent de grandir, mais qu’advient-il d’eux quand ils franchissent l'autre moitié du centenaire ? Voilà, depuis le 13 octobre, ma carte d’identité me déclare officiellement vieux. J’ai beau me la jouer Samantha Jones et me répéter dans la tête « I’m fifty and fabulous ! », tout de suite après, une voix plus sournoise prend le dessus : « Fuck, I’m old ! ». Je n’arrive même pas à écrire ce nombre en français. Fifty, ça passe un peu mieux. Peut-être parce que ça sonne comme filthy.

Alors oui, n’ayant encore aucun problème de santé à déplorer, ma petite crise d’identité peut sembler puérile, voire indécente aux personnes plus âgées que je côtoie. « Pfff, j’aimerais bien avoir ton âge. Quand tu seras dans mon état, tu auras des raisons de te lamenter. T’es jeune, profite ! ». D’autres me diront « Pfff, c’est qu’un nombre ! ». Certes, mais ce cap, aussi symbolique soit-il, a un poids qu’il faut porter, et je ne sais pas trop par où le prendre, ou comment l’appréhender…
Pas totalement blindé non plus pour supporter les vannes affectives des amis plus jeunes. Ils verront bien quand ils y passeront, ces petits cons. En attendant, ils ne peuvent pas comprendre, ou difficilement.

On associe également ce nombre vertigineux à l’heure des bilans. Le mien n’est pas parfait, loin de là, mais beaucoup s’en contenteraient alors je ne vais pas me plaindre. Je constate néanmoins que je stagne dans un monde qui valorise la progression. Et je me souviens qu'il y a vingt ans, je qualifiais mon boulot de Créatif de « créapute », des concepts plaisants contre de l’argent. Avec l’âge, je dois anticiper que cette pute sera de moins en moins attractive pour ces clients. À tort ou à raison, on la jugera déconnectée des tendances et de la modernité. Certes, il y a l’assurance et l’expérience, mais combien cela pèse-t-il aujourd’hui dans une balance face à l’apparence ?

Ce cap est d’autant plus pénible qu’il correspond également au deuil de mes rêves d’enfant, ou plutôt de jeune adulte. Il faut bien se dire à un moment que certaines choses n’arriveront jamais et qu’il est temps de tourner la page. Oui, oui, alors que d’autres ont déjà fait des croix dessus, j’ai habilement manœuvré dans le déni le plus total pour les garder précieusement dans un petit coin ouaté de ma tête. C’est aussi surtout que je n’avais rien d’autre à y mettre.
Et si je devais loger quelque chose à la place, ce serait quoi ?
On dit souvent qu’on ne peut vivre sans projet(s). Mais comment envisager l’avenir dans un monde qui part en vrille sur tous les plans, quand tu vois la planète se désagréger inexorablement de décennie en décennie malgré les cris d’alerte, quand tu vois la société glisser toujours plus vers l’extrême droite alors que tu restes assis sur ta même chaise des valeurs de gauche ? Il faut un terrain propice pour cela, et ce que nous faisons ou laissons faire de ce monde ne vend vraiment pas du rêve.
Tristesse que de se dire que les plus beaux moments sont derrière. Et que ceux à venir ne seront certainement pas aussi nombreux et flamboyants...

Alors je me suis recroquevillé dans ma bulle, à l’écart des potes et à l’abri des réseaux sociaux. Je me suis donné un mois pour déglutir la pilule de cette crise existentielle. Il touche à sa fin et je dois avouer qu’elle est encore un peu coincée dans la gorge, même si j’avale toujours très bien…
(Sans transition, ou presque…)
Côté cœur, les amours suivent leur chemin tranquillement depuis 22 ans déjà. Et même si les feux d’artifice de la passion des premières années se sont un peu calmés, il reste toujours de beaux éclats solaires. Alors que certains fuient la routine du couple, j’avoue que cette stabilité m’est précieuse, comme la seule chose qui ne me glisse pas entre les doigts.

Bientôt les vacances, avec un voyage tant attendu et maintes fois annulé et reporté. Pour le moment, je me raccroche à cela. On verra bien après. Et d’ici là, je vais continuer de checker sur Wikipedia l’âge des célébrités qui passent sur mes écrans et de les insulter vertement si elles sont nées après moi… On a les coping mechanism qu’on peut !

Une chose ne changera pas : Madonna sera toujours plus vieille que moi !
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