Covid19 vs. Orpheus

Covid19 vs. Orpheus

Tu entends au JT des phrases comme « En l’attente d’un vaccin, il va falloir apprendre à vivre avec la pandémie du Covid19 ». Et arrive le jour où tu reçois un SMS d’une amie à qui tu as rendu visite la veille pour t’informer qu’elle a des symptômes grippaux et que vu le contexte sanitaire actuel, elle va faire un test de dépistage Covid. À ce stade de l’histoire, tu te soucies surtout de son état à elle et tu relativises en te disant qu’avec l’hiver approchant, le nombre de gros rhumes va faire grimper en flèche les suspicions d’infection au virus. Confiant, mais prudent. On ne sait jamais, en attendant ses résultats, tu te dis qu’il est plus raisonnable de faire chambre à part avec ton homme. Sauf que le samedi suivant, la nouvelle tombe au petit-déjeuner, le test de la copine est positif… Une fois que tu es rassuré pour elle quand elle te dit qu’elle n’a que des symptômes légers (c'est-à-dire sans les difficultés respiratoires), tu commences à penser à toi : Bon, ça implique quoi, cette histoire ?
 
Ça implique d’abord que tu dis à la copine de donner ton numéro de téléphone à la CPAM, et là tu prends conscience que tu es en train de faire ton entrée dans les statistiques officielles de la pandémie et tu ouvres ton navigateur internet pour savoir où faire un test de contrôle et prendre un rendez-vous. Puis, tu repenses à ta visite chez elle. Tu te rassures en te disant que vous ne vous êtes pas embrassés, que vous avez gardé vos distances chacun de votre côté de la table du salon. Et tu revois la bouteille de jus de fruits que tu as touchée, le verre qu’elle a apporté et que tu as ensuite porté à tes lèvres. Et tu penses « Oui, techniquement, c’est possible… ». Alors, tu annules ton retour à Paris puisque tu dois t’isoler pour ne pas propager le virus à ton tour au cas où. Et dans la foulée, tu fais l'inventaire de tous les rendez-vous de la semaine à venir que tu devras reporter ou supprimer.
 
Et là, tu reçois un appel de la CPAM qui t’annonce officiellement de ton statut de « Cas Contact ». La personne au téléphone prend le temps de t’expliquer clairement et calmement le protocole à suivre. Tu penses qu’elle doit faire ça une centaine de fois par jour, peut-être plus. Pourtant, elle reste très « humaine », elle ne t’expédie mécaniquement en trois minutes en te bombardant d’informations. Elle s’assure que tu as compris et réponds à tes questions. Elle t’en pose aussi pour pouvoir t’expliquer la démarche à suivre : Est-ce que tu as des symptômes ? Est-ce que tu vis seul ? Est-ce que tu peux t’isoler ? Est-ce que tu es salarié ? Est-ce que tu peux télétravailler ? Est-ce que tu as voyagé depuis que tu as croisé la personne « Covid » ? Est-ce que tu as rencontré d'autres personnes ? Tu trouves que le dispositif mis en place est plutôt réactif et efficace, contrairement à ce que tu as pu entendre et lire ici ou là.
 
Tu raccroches et annules le rendez-vous pour le test que tu avais pris. Il faut qu’il soit fait à J+7 pour être significatif et tu l’avais programmé à J+5. Nouveau rendez-vous. Il n’y a plus qu’à attendre encore quatre jours et un de plus pour les résultats. Cinq jours que tu passes à t’observer ? Est-ce que j’ai de la fièvre ? Est-ce que je tousse à cause de la vape ? Et cet éternuement, c’est quoi ? Cinq jours que tu passes à sourire un peu mais pas trop aux blagues de Twitter sur Trump et son Covid. Tu penses à celles que tu aurais faites si… Comme quoi, pas malin-malin… Tu vas à la pharmacie chercher les 28 masques chirurgicaux mis à ta disposition gratuitement, deux par jour, pendant 14 jours. Tu regardes le pharmacien ouvrir une boite et compter les masques un à un. Il s'excuse, il ne reçoit que des boites de cinquante unités. Tu passes cinq jours à réorganiser ta vie en reportant des trajets Paris-Toulouse, des rendez-vous que tu ne pourras pas honorer puisque tu es un paria pour une quinzaine… Tu appelles ta copine régulièrement pour savoir si elle échappe toujours aux complications. Réception d’un autre SMS, de CoviContact cette fois, qui te propose un accompagnement dans ton confinement sanitaire. Ils t’ont déjà créé un compte sur un site internet, tu n’as qu’à l’activer avec l’identifiant et le mot de passe qu’ils te donnent dans le SMS (Oo). Tu penses que c’est un peu too much là, et tu ne vas même pas voir…
 
Tu te retrouves sur le parking d’une salle de spectacle à l’heure dite du rendez-vous. Quatre baraques en bois, comme celles des marchés de Noël. Deux pour l’administratif, deux pour les prélèvements. En cinq minutes chrono, l’affaire est classée. Un gars t’a enfoncé pendant une dizaine de secondes un long coton-tige au fond de la cavité nasale et a bien raclé tout ce qu’il pouvait. Tu trouves que la sensation est désagréable, mais ça va, pas de quoi fouetter un chat. T’as connu des pénétrations plus douloureuses… et plus heureuses aussi… On te dit que le résultat te sera transmis par mail d’ici 72 heures. Tu te rappelles l’époque lointaine où il te fallait attendre une semaine le verdict d’un test HIV et tu relativises…
 
Le soir même, tu reçois un mail qui t’invite à aller consulter le résultat de ton analyse sur le site du laboratoire. Tu retiens ta respiration et tu cliques. Tu rentres tes identifiants, tu trouves que la page est bien longue à s’afficher. Tu lis en diagonal, blabla bla, blabla blaaaa, négatif. Okay. Tu expires. Tu entends ton mec dire « Pareil ! », parce que lui aussi avait fait un test du coup... Et vous fêtez ça avec un verre de rhum arrangé. Tu sais que tu devras recommencer à J+14 mais bon, l’épée de Damoclès s’est sérieusement éloignée…

Pourquoi ce récit à la seconde personne du singulier ?
Parce que j’ai vécu un peu toute cette histoire en spectateur de moi-même. Avec une certaine distance pour ne pas céder à la panique et aux angoisses.
 
Et même si tout se passe bien au final, être « Cas Contact » a de sérieuses conséquences, surtout quand tu as une vie non salariée en dehors des clous, à cheval entre Toulouse et Paris… Il n’y aura pas pour moi d’assurance maladie pour compenser le manque à gagner des engagements annulés de cette quatorzaine. Ça fait cher le verre de jus de fruits.
 
Pour des raisons économiques plutôt que par nécessité sanitaire, le gouvernement a mis fin au confinement. Et moi, cette expérience me démontre que justement pour des raisons économiques, il serait sage que j’évite tout contact avec l’extérieur hormis ceux absolument indispensables. Seule certitude : je ne peux pas me permettre tout ce cirque à chaque fois que je rends visite à quelqu'un.
 
Hier, un autre ami m’a invité à dîner chez lui le week-end prochain. Je sais qu’il ne télétravaille pas et que les conditions sanitaires sur son lieu de travail ne sont pas optimales. Je pense qu’il a compris pourquoi j’ai décliné la proposition.

Va falloir être très patient pour retrouver une vie « normale »…