Avec la saison des fiertés qui approche à grands pas, les LGBT+ se regardent le nombril (ou surtout celui du voisin) et se posent mille-et-une questions quant à leur image (ou surtout de l’image que renvoie le voisin). Petit florilège de pensées diverses…

Pierre Palmade

Pierre Palmade @ ONPC

Commençons avec le cas Palmade, qui a encore perdu une occasion de se taire !
Il y a quelques semaines de cela, le comique en tournée de promotion faisait escale chez Ruquier. J’avais beau être loin en vacances de l’autre côté de l’atlantique, la polémique qu’il a déclenchée est parvenue jusqu’à mes oreilles. Ce pauvre Pierre divise donc les LGBT+ en deux groupes distincts : Ceux qui s’affichent, très communautaires et visibles qu’il appelle « Les Gays » et ceux qui vivent leur homosexualité dans l’intimité de leur chambre à coucher, discrets, voire indétectables au milieu d’un groupe d’hétérosexuel qu’il appelle « Les Homos ».
Sur le principe et sans réfléchir plus que lui, je pourrais presque approuver. Si je suis honnête avec moi-même, je pense ne pas faire illusion une seconde et appartenir à la classe des Gays, tandis que mon homme, lui serait sans hésitation du côté Homos. Maintenant, si je creuse la question, ça ne va pas du tout du tout cette histoire. Palmade commet plusieurs erreurs. La première est qu’il ne s’agit pas de deux boites distinctes, il existe une multitude de variantes de flamboyance. La seconde est qu’il semble figer les individus, excluant la fluidité de nos attitudes, niant les variations de comportements selon l’entourage (notre visibilité peut – ou pas – varier selon que nous nous trouvons en milieu amical, familial, professionnel ou que sais-je encore). La troisième erreur et certainement la plus problématique est qu’il émet un jugement de valeur, sous-entendant pas-trop-mais-un-peu-quand-même qu’une attitude est meilleure que l’autre. C’est là surtout que ça fait mal et en cela je plussoie le shitstorm qu’il s’est pris sur le coin de la figure.
Je vois plus les choses comme un spectre de flamboyance sur lequel nous oscillons en fonction d’une kyrielle de paramètres. Toutes les teintes se valent, tout comme toutes les variations (ou même absence de variation), il n’y a pas de comportement plus ou moins acceptable qu’un autre.
 
Spectre Flamboyance
 
Si vraiment, je voulais être pimbêche avec Pierre Palmade, je dirais que j’ai eu un peu de peine pour lui à entendre qu’il se voyait à l’aise dans la boite Homos, alors que de mon humble point de vue, sur le spectre de la flamboyance, il se trouve tout de même plus à gauche qu’à droite. Comme quoi, on peut aussi être plutôt flamboyant et carrément honteuse ou dans le déni le plus total.
Là où je lui en veux quand même (ainsi qu’à ce grand benêt de Ruquier) est qu’il(s) encourage(nt) implicitement les jugements de valeur au sein de la communauté. On en arrive alors à lire des stupidités de ce genre :
 
Tweet Follophobe

Que ce soit Palmade, Ruquier, ce Valentino et ceux qui trimbalent la même couche crasse de pensée, il semblerait qu’ils aient tous oublié (ou occulté) que s’ils peuvent être à l’aise dans leurs baskets aujourd’hui, c’est uniquement grâce aux Flamboyants qui se sont battus pour eux… Alors, un peu de respect en retour serait plutôt bienvenu de leur part.
 

Les Crevettes Pailletées

Les Crevettes Pailletées

Passons donc maintenant au film du moment « Les Crevettes Pailletées » et au petit flot de jacasseries qui l’accompagne…
Je sors donc la projection aujourd’hui même et sur le chemin du retour, je lis une newsletter incendiaire qu’un ami a partagé sur les réseaux sociaux. Pas de suspense : je suis bien loin de la colère de cette critique.
Aline vocifère comme quoi l’arc principal de narration tourne autour du sportif homophobe et que les nageurs homos sont uniquement présents pour lui servir de rédemption. J’ai ri (peut-être plus que dans le film d’ailleurs). La petite histoire du nageur hétéro contraint d’encadrer une équipe de water-polo homo est tellement prévisible et cousue de fil blanc qu’elle perd tout intérêt pour s’effacer devant la galerie de portraits des autres personnages hauts en couleurs. On sait tellement qu’il va se prendre au jeu, on sait tellement qu’il va finir par devenir gay-friendly, qu’on se désintéresse de lui pour se focaliser sur les autres personnages, sur ce qui n’est pas attendu. Au final, c’est lui qui sert de fil d’Ariane, sa seule utilité en fait est de tenir la main du spectateur hétéro qui pourrait être déboussolé par une telle immersion dans notre arc-en-ciel.
Après, on peut reprocher au film sa forme cruellement classique, populaire et usée jusqu’à la corde du mec qui débarque en terre inconnue chère aux comédies françaises, une sorte de Bienvenue chez les Ch’tis version gay (#BitchPlease).
« Que c’est lourd ! ». Oui, bon, on n’est pas toujours dans la finesse, loin de là. C’est d’ailleurs le problème de toutes les comédies françaises, on ne sait pas faire dans la demi-mesure. J’avoue que je me serais largement passé du plan de léchage de saucisse dans le resto et de la scène du tatouage anal dans le bus. Mais sinon, tu réunis une dizaine de gays et forcement, à un moment ou l’autre, ça va déraper dans le grivois. Certaines répliques m’ont rappelé quelques situations que j’ai pu vivre avec des amis, je me suis amusé plusieurs fois à penser que tel pote (ou moi-même) aurait pu balancer telle phrase. Est-ce que le film aurait du aller au-delà de certains clichés (le gay porté sur le sexe, l’autre futile, le militant casse-couille, etc…) ? On a là l’écueil de nombreux films de type choral où il faut des personnages bien identifiés et marqués. Mais d’une certaine façon, un effort a tout de même été fait avec l’arc narratif du gay père de famille ou du newbie. Et puis, gardons en tête que ce film se veut être une comédie feel-good et non un film militant comme 120 Battements par Minute, Pride ou The Normal Heart. Il faut le jauger pour ce qu’il est et non ce qu’on aurait aimé qu’il soit.
« Les Crevettes Pailletées confond personnes transgenres et travesties ». Alors certes, je n’ai pas trouvé le personnage de Fred d’une justesse absolue criante de vérité. Le scénario précise néanmoins qu’elle est en début de transition, donc en effet, elle n’est peut-être pas aussi polie et femm’ qu’on pourrait l’imaginer ou le souhaiter. Le papillon n’est pas encore totalement sorti de sa chrysalide. Quant aux remarques transphobes d’un des personnages à son égard, au contraire de la dame toute énervée, j’ai trouvé cela parfait ! Le milieu gay est aussi transphobe à son heure, les transgenres doivent essuyer des affronts de tous bords, j’ai trouvé bien que le film le montre et ne donne pas une image d’un milieu LGBT+ de bisounours où tout le monde s’accepte (la scène au bar du club des gay games où elle balance une pique sur le comportement des homos à l’égard des transgenres est peut-être celle qu’il m’a le plus touché du film). Il en va de même des deux trois commentaires vachards envers les lesbiennes. La lesbophobie existe aussi dans la vraie vie. C’est à nous de balayer devant notre porte, pas au film de montrer une version idéalisée de la communauté. Le film privilégie une présentation de la réalité plutôt qu'une éducation. À chacun de cogiter et d'évoluer. Je comprends néanmoins qu'on puisse le déplorer et que cela puisse être mal perçu au sein d'une comédie. Peut-être que la désapprobation d'un autre personnage aurait rendu la chose plus acceptable ?
« Le film minimise l’homophobie du nageur pro ». Ah bon ?! Le film s’ouvre sur la sanction qui lui tombe dessus, que ce soit le responsable de la fédération ou son entourage, pas une seule personne hétéro dans le film ne l’excuse. Plus tard, un des nageurs homos exprime clairement son refus de bosser avec lui à cause de son homophobie. Il n’y a pas de doute possible. Après, encore une fois, comme il n’est pas le sujet du film (rappelons-le) et que celui-ci ne dure qu’une heure quarante, on ne va pas s’appesantir là-dessus plus que nécessaire… Et pour ce qui est de la petite phrase de pardon « T’es pas homophobe, t’es juste un peu con », je dirai que les homos ont souvent le pardon facile envers les bogosses ;-). Par ailleurs, elle sert surtout à montrer le côté altruiste et magnanime du personnage qui pardonne ; les homos auraient l’intelligence que les homophobes n’ont pas. (NDLR : perso, je suis bien bien rancunier à ce sujet).
Après je rejoins Aline sur les points positifs comme la belle diversité des personnages, et la mini-réflexion sur l’attitude à adopter face à la violence homophobe (à ce propos, j’ai bien aimé qu’après la scène d’agression un personnage déclare « vous l’avez bien cherché en les provoquant ». Non pas parce que je suis d’accord avec lui, mais parce que c’est aussi le genre de conneries qu’on peut entendre dans nos rangs.
Au final, j’ai vraiment passé un bon moment. Je vais tout de même équilibrer un peu en disant que Les Crevettes Pailletées n’est certainement pas le film qui marquera le cinéma LGBT+ français. Je trouve qu’il est largement survendu comme le Priscilla-dans-le-grand-bain-à-la-française. S’il y puise pas mal d’éléments (coucou les scènes de bus), il lui manque tout de même pas mal d’inspiration, d’originalité et de panache pour lui arriver au genou si ce n’est à la cheville. Dans le genre comédie-gay, on nous a proposé bien plus problématique que ce film, alors j'ai décidé de ne pas trop faire la fine bouche.
 
Certains se demanderont probablement quelle image ce film donnera de la communauté LGBT+. Encore une fois : ON S’EN FOUT DE L’IMAGE et de leurs petites insécurités vis-à-vis de ce qu’on pourrait penser d’eux.
Personnellement, l’image des LGBT+ que donne ce sondage sur nos intentions de vote aux élections européennes me terrifie bien davantage.
 
Vote LGBT 2019


J’y vois une large majorité de gens qui ont oublié leur histoire, et qui pour des promesses financières et sécuritaires sont prêts à soutenir leurs bourreaux d’hier et d’aujourd’hui. Le racisme et l’argent plutôt que les droits.
Quelle tristesse !