Le 23 avril dernier, Maman s’est éteinte, un peu comme une bougie qui n’a plus de cire à consommer après un long déclin de seize années de Parkinson. Le vendredi d’avant, Papa a téléphoné, Maman venait de faire des convulsions. Le médecin urgentiste qui était là avec les pompiers voulait s’entretenir avec moi. « J’ai consulté le dossier de votre mère, et au vu des deux récentes hospitalisations et de ses antécédents médicaux, j’ai demandé à votre père sa position sur la fin de vie et nous souhaiterions connaitre la votre ». Six mois que je me dis que cette discussion allait prochainement arriver. Six mois que je n’en parle pas avec mon père. Maman, fait partie d’une génération qui ne s’est jamais exprimée sur ce sujet, et quand la maladie est arrivée, il est devenu quasiment inabordable. D’abord parce qu’il est délicat d’en parler avec une personne qui a une épée de Damoclès au dessus de la tête, le début de la maladie est le temps du combat et on ne veut pas qu’elle pense qu’on souhaite se débarrasser d’elle. Et ensuite parce qu’on s’habitue à la maladie, et que sans qu’on puisse s’en rendre compte exactement, la raison n’est plus tout à fait là, et qu’il est trop tard pour avoir une réponse « en son âme et conscience ». En quelques secondes, j’ai vu défiler dans ma tête les images de Maman de ces derniers mois. Dans son lit médicalisé qu’elle ne quittait qu’à de rares moments pour son fauteuil roulant, les lunettes nasales qui lui fournissait oxygène jour et nuit, sa respiration qui s’emballait, les repas mixés qu’elle peinait à déglutir, les tremblements intempestifs que la Dopamine n’arrivait plus à contrôler, son mutisme croissant… Mais aussi son regard, toujours empli de douceur. On ne saura jamais si elle souffrait physiquement et mentalement, Maman était la reine du Pokerface. « Si elle part, laissez-là partir ». Ces mots raisonnent dans ma tête depuis. On a beau s’y préparer autant que possible, il y a certaines phrases lourdes de conséquences qui déchirent le cœur d’un enfant. Papa m’a réconforté d’un « Ne t’inquiète pas, j’ai tenu le même discours ».
Le lendemain à l’hôpital de Meaux, Maman était encore dans un état semi-comateux. J’ai repensé à la conversation avec le médecin urgentiste, ce signal d’alarme qu’on est sur la dernière ligne droite, et ai conseillé, avec toutes les précautions imaginables, à Papa de prévenir son frère et ses sœurs, s’ils voulaient la voir… Les visites s’organisent. Le dimanche, elle semblait refaire un peu surface. Mais c’était pour mieux s’effondrer le lundi. Définitivement.

Commence alors le tourbillon des funérailles à organiser. Prévenir la famille, ses amis, son équipe médicale à domicile… Les choses administratives, les pompes funèbres… Impression d’un tourbillon vertigineux au ralenti… Les larmes qui nous coulent avec papa sont un mélange de tristesse et de résignation.
J’ai su que devoir faire face à la famille ne serait pas chose aisée quand Papa a du expliquer qu’il n’y aurait pas de service religieux : « Marie ne croyait plus en dieu depuis le décès de notre premier bébé. On n’a pas fait baptiser Yann, ce n’est pas pour nous prendre une assurance de dernière minute… ».
J’abandonne Papa quelques heures pour passer à la Maison des Orchidées sur l’Ile de la Cité. Plutôt que de faire une couronne de fleurs, j’ai opté pour une superbe orchidée, sa fleur préférée. J’ai dans l’idée de la récupérer ensuite à Paris pour la faire refleurir… Il y a certainement matière à psychanalyse là…

Vendredi 27 Avril. Jour des funérailles.
Je me suis mis en mode pilotage automatique en construisant un mur. Je savais que je n’allais pas apprécier de revoir ceux qui ont déserté mes parents depuis des années et qui sont venus « partager notre chagrin ». A tort ou à raison… Je me suis réfugié auprès de ceux qui ont mon affection.
J’ai eu une longue discussion avec Manuella, une des infirmières de Maman. Elle m’a réconforté comme elle l’avait déjà fait à chaque étape de la maladie. « (…) Et puis, il te reste ton Papa. Tu le sais, c’est un homme extraordinaire. On parle souvent de lui avec les autres, on n’a jamais vu un homme aussi aimant, qui s’est occupé autant de sa femme. Ça va lui faire un vide, il va falloir vous serrer les coudes tous les deux ».
Chambre Mortuaire de Meaux. Papa est à côté du cercueil de Maman, on se tient la main. Défilé de membres de la famille, d’amis pour se recueillir une dernière fois... Un dernier baiser et le cercueil est fermé, dans l’intimité.
Dans la voiture pour le cimetière du village de mes parents, Papa me dit qu’il veut que je conserve l’alliance de Maman et quand son heure viendra, que je prenne la sienne pour les insérer l'une dans l'autre. L’orchidée gigantesque que je transporte entre les jambes s’est avérée parfaite pour y cacher mes sanglots.

Arrivée du corbillard au cimetière. Le caveau familial où reposent déjà mes grands-parents et mon frère a été ouvert. Les nombreuses fleurs sont déposées autour du cercueil. Nous avons eu tellement d’appels demandant où livrer les fleurs que Papa a fini par organiser en parallèle une cagnotte pour une association d’aide aux familles de malades de Parkinson pour ceux qui préfèreraient. Je le reconnais bien là dans la volonté de redonner un peu de tout ce qu’il a reçu.
Et commence la cérémonie. A ce moment précis, le soleil vient à percer des nuages. Je pense à Estéban des Mystérieuses Cités d’Or. C’est vraiment con le cerveau parfois…

Maman adorait Jean Ferrat. Papa a choisi Que Serais-Je Sans Toi pour l’accompagner, une chanson magnifique que j’ai écouté religieusement, si j’ose dire. Le texte d’Aragon leur correspond tellement que bien évidemment elle fait son entrée directement dans les chansons marquantes de ma vie.
Puis une amie très proche de mes parents a lu une longue lettre écrite par mon père à sa femme, retraçant sa vie, leur vie, notre vie. Dix minutes d’amour condensées autant que possible. Entre sourires et larmes, la gorge est nouée.
Maman aimait beaucoup Michel Sardou aussi, c’était d’ailleurs un sujet de plaisanterie entre nous. Mon choix s’est porté naturellement sur Une Fille Aux Yeux Clairs, une chanson sur le temps et le regard amoureux d’un enfant sur sa mère.
J’avais convenu avec le maître de cérémonie des pompes funèbres qu’il prendrait le relai si je ne me sentais pas la force de parler. Un simple signe de tête et il comprit qu’il devait s’avancer et sortir ma lettre de sa poche…
 
 

Maman

14 Août 1944 - 23 Avril 2018

« À lire et entendre les messages de soutien que vous nous avez envoyés depuis lundi, vous perceviez Maman comme une femme forte, de caractère et de convictions, dévouée, qui aimait recevoir sa famille. Vous ne pouvez pas avoir oublié les nombreux banquets de fêtes auxquels elle vous a convié et les nombreux repas qu’elle prenait plaisir à vous concocter. N’oubliez jamais qu’elle était parmi celles qui rassemblaient la famille, tant que la santé le lui a permis.
Oui, bien entendu, elle était tout cela. Mais vous avez oublié une chose de peut-être moins évidente : une grande patience. Car avec deux loustics comme Papa et moi, il en fallait de la patience ! Pour moi, elle était aussi bien plus que tout cela. D’abord la femme qui, avec Papa, m’a donné non seulement la vie mais également un amour inconditionnel et infini, celle qui m’a toujours apporté son soutien dans tous mes choix au long de la vie. Je garderai à jamais des souvenirs de douceur, des rires, une complicité qui n’a jamais failli. Je garderai également mille et un souvenirs qu’égoïstement je préfère ne pas partager avec vous aujourd’hui pour pouvoir mieux les chérir. Je l’affirme sans le moindre doute, j’ai eu la meilleure maman que je pouvais espérer avoir.

Ses dernières années ont été plus difficiles, et c’est là que je lui ai découvert une force et abnégation incommensurable. Je crois ne jamais l’avoir entendue se plaindre alors qu’elle en aurait eu mille fois l’occasion et le droit.
Elle a eu le bonheur de recevoir en retour l’amour qu’elle a donné, un mari aimant qui a été un compagnon de route hors du commun sur son dernier chemin. Je tiens à saluer ici mon père, un homme d’exception dont nous pouvons tous nous inspirer.
Je profite aussi de l’occasion pour remercier chaleureusement les personnes qui ont apporté à Maman au quotidien l’assistance, le soutien physique et le réconfort moral. Manuella, Paula, Philippe, Arthur et toutes les équipes médicales à domicile. Sans oublier Maria... Que ceux que j’ai omis de nommer me pardonnent. Qu’aurions-nous fait tous les trois sans vous.
J’ai une pensée pleine de gratitude également pour ceux qui ont tenu la main à mes parents dans ces moments difficiles. Merci à vous.
Je compte sur vous tous maintenant, ses amis et sa famille, pour continuer à soutenir Papa, l’accompagner sur cette nouvelle route sans la femme de sa vie…

Un certain auteur de chansons a chanté un jour « Le temps est assassin et emporte avec lui le rire des enfants »... Moi, je sais déjà qu’il se trompait. Ce ne sont pas des Mistrals Gagnants mais des Orchidées qui me rapprocheront toujours de toi, Maman. Tu les aimais tellement ces fleurs. Passé le temps du chagrin, je les contemplerai en pensant à toi, et je retrouverai sans le moindre doute mes nombreux rires d’enfant.

Au revoir Maman, je t’aimais tant. »

 
 
 
Le cercueil a été déposé dans le caveau. Papa avait coupé au jardin du lilas parme que chacun lança. La dalle referma le tout d’un son lourd de significations.
Familles et amis se sont retrouvés à la maison. Des histoires, des mots doux et réconfortants, des mots hallucinants et parfois un peu déplacés aussi… Je ne sais pas trop gérer, j’alterne entre présence et repli stratégique dans ma chambre histoire de reprendre mon souffle, quitte à encore passer pour un vilain canard…
Avant de partir, le maître de cérémonie m’a remis le registre avec toutes les cartes numérotées correspondantes aux bouquets reçus. Je vais au cimetière prendre les bouquets en photo pour les remerciements. Papa m’a rejoint. Ça faisait du bien d’être ensemble…

À la Vie de reprendre son cours maintenant.
 

Une tombe en fleurs
 
En souvenir d'amitié
Merci aux amis toulousains et parisiens pour cette touchante attention.
 
 
Son parfum, son alliance